Réaliser le grand saut pour trouver refuge dans un autre pays est une décision qui ne se prend pas sur un coup de tête. C’est avec le cœur rempli d’espoir que plusieurs immigrants professionnels décident de s’établir ici afin de contribuer à un projet de société. Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, indiquait, un peu avant la rentrée, que plus de 15000 postes sont à combler pour des services directs aux élèves dans nos écoles du Québec. Les immigrants sont l’une solution dans cette quête des meilleurs candidats.
Adelson Degraff, haïtien d’origine, est mon nouvel ami. Il a vécu le grand «Goudougoudou», le terrible tremblement de terre de 2010, qui aura retardé son entrée sur les bancs d’école de l’Université d’État en Haïti de plusieurs mois. C’est au même moment qu’il a perdu sous les décombres de ciment, son ami-mentor, celui qui l’a poussé à se dépasser dans ses études alors qu’il était un gamin. Frantzy Joseph avait vu en lui des signes d’intelligence et lui avait insufflé l’énergie nécessaire pour s’investir dans son avenir en lui promettant des sorties, s’il lui ramenait des notes. Comme cadeau, ils ont assisté à des matchs de foot, l’une de ses nombreuses passions.
C’est la principale raison pour laquelle Adelson étudiait tous les soirs. Mais il faut rappeler que là-bas, l’éducation est valorisée. Pour espérer sortir leurs enfants du lot, les parents ne lésinent pas sur l’autorité. Les enfants haïtiens parlent créole à la maison? L’éducation se fera tout de même en français dès le jeune âge. Dans ce pays francophone, c’est tout de même la culture américaine qui gagne le terrain.
Le nez dans ses livres, Adelson s’est taillé une place parmi les 250 privilégiés de la Faculté des Sciences humaines pour une éducation supérieure gratuite. Ils étaient plus de 2000 à appliquer pour obtenir un banc. Il aura obtenu 10 ans plus tard un baccalauréat en psychologie, avec mention pour son mémoire. Il aurait aimé terminer son baccalauréat en moins de temps, mais à Haïti, rien n’est simple. Souvent les sessions sont annulées et la bureaucratie est lourde.
Par la suite, Adelson aura trouvé du travail -une denrée rare- chez Médecins sans frontières dans un poste-cadre. Sous la gouverne de femmes, cet homme travaillait auprès d’une clientèle féminine qui a subi des violences sexuelles, ce qui n’est pas commun. Mais il a su prendre sa place, à sa façon d’être facilement en lien avec l’être humain en œuvrant auprès des communautés les plus démunies.
Depuis que le peuple n’a plus de président en raison de l’assassinat crapuleux de Jovenel Moïse, l’insécurité du pays est énorme. Davantage que sous le règne de Duvalier raconté par notre écrivain adoptif chéri, Dany Laferrière, dit-on. Les gangs armés détiennent une bonne partie du pouvoir et font fuir les professionnels. Bien qu’il aime son pays et qu’il détient un bon emploi, à 36 ans, il a décidé de le quitter pour un avenir meilleur. Le 15 mai dernier, avec un statut d’immigrant en poche, il a pris l’avion, sans regarder en arrière, sans avertir les amis, question que tout se passe sans danger. Le Québec accueille en ses terres un psychologue.
Il a trouvé refuge ici à Lachute, chez une cousine. Je l’ai rencontré par un heureux hasard. Il s’exprime autant en créole, en français qu’en anglais. Il est plus brillant que la moyenne des ours, c’est clair! Il adore le foot et Lionel Messi (il peut vous décrire l’ensemble de ses plus beaux buts) et chante par cœur les paroles des chansons du chanteur The Weeknd. Il peut vous réciter des répliques d’Eddy Murphy –et même imiter sa doublure-. Il a fait du théâtre à l’Université et il joue de la guitare. Il est versatile!
Il n’était jamais allé plus loin que la frontière d’Haïti en République dominicaine, mais il connaît sa géographie ainsi que les merveilles du monde qu’il a côtoyé par le biais d’Internet, davantage que bien des Québécois. Il n’avait pas accès à la vitesse des réseaux d’ici, mais il sait très bien patienter puisque toute sa vie tourne autour de cette qualité. Il parle des saisons en fruits et de kilomètres en temps de minute de marche. Il sait reconnaître la beauté de l’art, il a des qualités d’écoute extraordinaires et il sait se faire aimer. Le nombre d’automobiles et le peu de regroupements sociaux le marquent toujours autant dans sa terre d’accueil. C’est en jouant du coude qu’il a appris à se promener dans les rues bondées de Port-au-Prince.
Tout au cours de sa formation, Adelson devait gagner son pain. Il est intervenu auprès d’enfants. Il a un don pour enseigner. On lui a rapidement attribué le nom créole «Mèt Sonson» pour ses qualités de pédagogue. Haïti possède une grande culture du savoir, dont Adelson pourrait faire profiter la jeunesse lachutoise et devenir ainsi un certain Monsieur Lazhar.
En ces temps difficiles où la pénurie de main-d’œuvre a souvent le dos large, j’ai accepté de reconduire l’immigrant à la journée porte ouverte du Centre de services scolaire de la Rivière-du-Nord le 17 août dernier à Saint-Jérôme. Nous sommes nombreux dans la salle d’accueil. On lui a fait une entrevue d’une quarantaine de minutes. Dirigé par son amie canadienne qu’il prénomme affectueusement son génie, il dit: «j’aimerais enseigner aux enfants comme aux adolescents, en anglais comme en français; je peux agir comme technicien en éducation spécialisé; je peux travailler dans un service de garde et je peux même surveiller les cours d’école de n’importe quelle école de Lachute.» Il se déplacera en marchant (il n’a encore aucune idée de ce qu’est l’hiver).
Avec un salaire, il pourra espérer poursuivre des études à temps partiel pour retrouver son titre de psychologue en travaillant dans le milieu et saisir les subtilités de la culture québécoise. Parce que bien qu’il était psychologue dans son pays, il ne l’est pas encore ici. Il attend de connaître ses équivalences. On dit que ça peut prendre plus qu’une saison des mangues, peut-être deux… Mais Adelson demeure un expert en relations humaines. Il a l’avenir devant lui et une tonne de temps libre. La voie de l’enseignement, empruntée par défaut, serait l’idéal. On lui dit qu’on le joindra très bientôt. À sa sortie, il est souriant et confiant.
Hier, il n’avait toujours pas reçu un appel des RH du CSSRDN, «une organisation en pleine expansion dans les Laurentides qui a comme mission d’organiser et d’offrir des services éducatifs de qualité en collaborant et innovant pour l’avenir de tous», comme l’indiquent ses offres d’emploi. C’est 4 800 employés qui partagent déjà ces valeurs. «Notre motivation est d’agir ensemble pour la réussite de nos élèves avec confiance, respect et courage.» Adelson est prêt à réaliser ce défi.
Les enfants d’amis n’ont toujours pas un enseignant d’anglais depuis le début de l’année scolaire en 1re secondaire à la polyvalente Lavigne. Ça fait déjà quelques films (en anglais!) qu’ils regardent. Adelson est trilingue.
La semaine dernière, il m’a appelé pour m’annoncer une bonne nouvelle. Le psychologue a obtenu un emploi au Wal-Mart de Lachute pour un poste de commis de service. Il était heureux, heureux de contribuer à la société québécoise.
Combien de personnes professionnelles sont prêtes à s’investir auprès de nos enfants, ont trouvé la porte d’entrée, mais n’obtiennent ni de réponses ni de suivi depuis le début de la rentrée scolaire?
N.B. Tricentris, une entreprise lachutoise, a été sacré employeur de l’année en 2022 dans Argenteuil. Ce qu’ils ont à offrir pour un poste de RH selon une offre d’emploi récupérée sur le site de la MRC d’Argenteuil : «…participer à maintenir cette excellence. Essaie autre chose que ce que le monde des RH t’a offert jusqu’à maintenant. Viens tester notre complicité.» Parce que malgré la pénurie de main-d’œuvre, ils sont créatifs, polyvalents, complices et rapides. Cette entreprise travaille main dans la main avec les nouveaux arrivants.