Il vit en marge des courants du monde de l’art même s’il en fait partie, en marge de la société des Premières Nations dont il a exploré les cultures à travers ses livres, en marge du monde universitaire qu’il a pourtant pratiqué afin dit-il «d’acquérir une méthodologie». Méthodologie d’autant plus nécessaire que Rivard n’est pas qu’un artiste multidisciplinaire; il est également spécialiste en textile et expert consultant auprès de nombreuses institutions muséales en matière de vêtements et d’artefacts autochtones.
Le thème de son exposition est Naturel et usiné. On pourrait croire que les deux termes s’opposent. Pourtant, il n’en est rien. Au contraire, Sylvain Rivard réunit les deux en une métaphore de la vie où le naturel et l’artificiel se côtoient et s’interpellent. En juxtaposant des produits naturels travaillés de manière artisanale (peau, fibres, etc.) et des objets manufacturés (plastiques, métaux, fibres synthétiques, etc.), il fabrique des objets qui se veulent des observations de faits de société.
C’est ainsi qu’une des pièces majeures de l’exposition, L’Histoire recyclée, présente une poupée au corps translucide (une peau d’anguille remplie d’objets à peine perceptibles); ce personnage porte un regard détaché sur une sphère composée de figurines en plastique colorées (donc usinées) représentant ce que la société tient pour discutable sinon mauvais: soldats armés, animaux dangereux, personnages inquiétants, etc. «J’observe, dit l’artiste, mais je ne juge pas. Si le spectateur veut juger, il est libre de le faire».
Fasciné par les textiles depuis son enfance, Rivard a fait de cette passion une spécialité qui lui a permis de gagner sa vie, mais aussi de nourrir son art. Engagé par de nombreux musées pour classer des collections d’artefacts, il s’est rendu jusqu’en Amazonie pour étudier et apprendre l’usage des plumes d’oiseaux que font les peuples fondateurs de cette région du monde. Le musée de Lyon en France l’a engagé pour classer sa collection d’artefacts autochtones.
Cette expertise lui sert ensuite dans sa pratique artistique qu’il réalise à partir d’objets récupérés au quotidien. Sa «figurine à remontoir» est un bon exemple de ce recyclage de matériaux: le personnage assis (peut-être méditatif ?) est fait de fil de fer, de perles de verre, de rubans et de clefs de cadenas. On peut y voir une illustration de la nature humaine qu’on découvre à l’aide de plusieurs clefs.
D’autres œuvres mettent en scène des poupées dont les corps sont faits de vessies de bison, de peaux crues de cerfs, de chèvres ou de cuir d’anguilles. Dans ces corps obèses gonflés comme des outres translucides, on devine la présence d’éléments de plastique qui suggèrent que l’usiné nous habite et fait partie de nous-mêmes. On peut les interpréter comme des parasites qui nous grugent ou comme des richesses qui constituent la culture.
L’exposition compte aussi quelques tableaux, parmi lesquels on trouve un triptyque de tissage traditionnel dans lequel on peut voir une préfiguration des plasticiens du siècle dernier qui, au bout du compte, n’auraient rien inventé.
Sylvain Rivard est également l’auteur d’une vingtaine de volumes, dont plusieurs, à l’intention des jeunes qu’il initie aux traditions québécoises et des Premières Nations comme les mocassins, les couvertures ou la ceinture fléchée. En 2022, il a publié chez Hannenorak, un éditeur autochtone, un livre consacré à la mitasse, une sorte de legging «qui couvrait la jambe pour la protéger du froid» et que les cowboys ont adopté par-dessus le jean.
Rivard illustre chacun de ses ouvrages de collages ou de dessins. Son plus récent, Road Kill Café, dont le sous-titre est Mémoires à bibittes oubliées, réunit des contes que leur auteur qualifie de trash. Il est publié chez Somme Toute.
L’exposition Naturel et usiné se poursuit jusqu’au 15 mai au 562 route des Outaouais, à Brownsburg-Chatham. L’entrée est gratuite. Consultez le site Internet pour accéder à la programmation complète.