Pédagogue

Par Karine Audet
Pédagogue

C’est juste, mais peut-être un peu large, car à ce compte tous les enseignants sont pédagogues et tous les pédagogues, des enseignants. Selon Carolanne Tremblay, une ancienne enseignante, un pédagogue c’est une personne qui possède la science de l’explication, du transfert des connaissances, des méthodes d’apprentissage et de rétention. Voilà qui est pas mal plus restrictif.  

Il y a des pédagogues célèbres: on pense à Maria Montessori, Rudolph Steiner ou Paolo Freire qui ont donné leur nom à des écoles. Mais la plupart sont des individus obscurs, des sans grade qui, sur le terrain, ont développé des méthodes originales qu’ils n’ont pas érigées en système et dont ont bénéficié des générations d’écoliers. Guy Ouellette de Lachute est de ceux -là. 

Guy Ouellette n’enseigne plus depuis quinze ans, mais il est demeuré très proche de l’univers scolaire. «On peut sortir le gars de l’école, dit-il, mais pas sortir l’école du gars.» C’est que malgré la retraite, il poursuit une action qu’il a entreprise il y a plus de trente ans: le concours Champigraphie. 

Le mot vient de la contraction de «champion» et du grec «graphein» qui signifie écrire. Concrètement Champigraphie veut valoriser la langue française chez les jeunes élèves. À l’origine, il s’agissait d’une dictée sur le modèle de celle que proposait Bernard Pivot et qui récompensait les forts en orthographe. Aujourd’hui, on demande aux jeunes de rédiger un texte dont on juge la grammaire, la syntaxe et bien sûr, l’orthographe. En amont de l’événement lui-même, il y a des étapes qui visent à enrichir le vocabulaire des enfants et affermir leur maîtrise de la grammaire. En douceur, sans que cela paraisse. 

Une des techniques que Guy Ouellette employait était la suivante. Il demandait à ses élèves de trouver chaque jour un mot nouveau et de signaler où il l’avait vu ou entendu. Au fil des années, il a évidemment reçu des milliers de réponses: funeste, dans le Grand Journal, tabasser à TVA réseau, faire chou blanc à Sport ag, pathétique dans Les Pokémon, etc. En fin de parcours, des diplômes, des trophées et des prix (jeux, ballons, etc.) récompensent les efforts et les progrès des élèves. 

Champigraphie veut aussi développer la curiosité chez les jeunes pour qui un seul mot nouveau ouvre l’esprit sur des univers insoupçonnés. Par exemple, prenons le mot mécène; qui qualifie un personnage qui soutient les arts. Le mot évoque les grands philanthropes comme Bill Gates, mais aussi les Médicis, la Renaissance italienne et les artistes tels Michel-Ange et Léonard de Vinci. Ce dernier à son tour nous entraîne sur le terrain des machines; on parle alors de catapultes pour le combat ou d’engins volants… même s’ils n’ont jamais volé. 

Champigraphie exige beaucoup, mais pas seulement des élèves. C’est toute une organisation qui demande «de l’opiniâtreté et de la persévérance.»  On ne compte pas ses heures, ce que Guy Ouellette n’a jamais fait. En plus de son enseignement, il s’occupait de rechercher des commanditaires pour financer l’activité. Les petits trophées qui valaient autrefois 3,50$ coûtent aujourd’hui 10$; comme on en distribue plusieurs dizaines dans chaque classe participante, c’est dire qu’il faut beaucoup de sous qui sont, c’est bien connu, le nerf de la guerre. Quant aux prix (jeux, ballons, poupées, etc.), il faut solliciter les entreprises pour en assumer le coût, autant de démarches qui exigent temps et énergie.  

Champigraphie a aujourd’hui trente-deux ans. La fille de Guy, Marie-Hélène, a pris la relève de son père à la barre du concours. Elle est animée de la même ferveur que son paternel comme si le goût de transmettre le savoir était génétique (sa mère a aussi été enseignante).  

Champigraphie sert-il à quelque chose? «Il faudrait faire un sondage qui n’existe pas encore» dit Guy Ouellette, mais il affirme que depuis le début, les élèves et leurs enseignants ont «embarqué» dans le projet. Intuitivement, il pense que les jeunes en ont retiré un certain profit. Ils auront au moins appris que l’univers des mots ouvre des perspectives inédites.  

Guy Ouellette est un homme de la vieille école. Il n’est pas hostile à la nouveauté, mais pour lui la pédagogie est un art individuel qui consiste à trouver des manières de dire les choses pour que les élèves les retiennent. On ne peut pas imposer une manière universelle d’enseigner. Il déplore que les responsables de l’éducation (comprendre le ministère) ne laissent pas les enseignants effectuer leur travail. L’expression «autonomie professionnelle» revient à tout bout de champ dans son discours.  L’enseignement est une vocation proche du sacerdoce; c’est pourquoi il réclame qu’on libère les enseignants des tracasseries administratives pour leur laisser la liberté de choisir les moyens de transmettre les connaissances indispensables. «Les jeunes sont des éponges. Ils absorbent tout ce qu’on leur propose à condition de savoir les intéresser. L’école existe pour ouvrir les esprits».  

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