Morena Prats, une artiste interdisciplinaire de Montréal tombé sous le charme d’Argenteuil voilà deux ans, a eu du temps pour rêver, comme plusieurs qui ont vu le fruit de leur labeur reporté. Devant l’inévitable bouchon dans les salles montréalaises et la tristesse des annulations répétées -sa pièce devait se jouer à La Chapelle en 2020 et 2021- elle comprend que tout comme son exil de Montréal vers la campagne, tout comme son désir d’encourager local et de retrouver racine sur ces terres d’accueil, elle devait poursuivre cette logique dans son travail.
«La pandémie a changé ma façon de fonctionner et je trouvais complètement absurde que moi je délocalise mon travail vers Montréal ou Bruxelles, là où je travaille souvent. J’ai réalisé que je n‘offrais jamais mon travail aux gens d’ici et que si je voulais être conséquente, il fallait que je crée des conditions pour le présenter là où je vis, pour les gens du coin», souligne Morena Prats, qui a étudié en théâtre, qui a travaillé comme conseillère artistique pour des chorégraphes provenant du milieu de la danse, des metteurs en scène et des artistes en arts visuels et qui a agi comme médiatrice dans le cadre de rencontres internationales du Festival TransAmériques (FTA).
Cet intervalle, jouée à l’Espace Go en 2017 dernier, est l’un des 4 projets personnels de l’artiste. Invitée en 2017 par Évelyne de la Chenelière à créer une œuvre de dialogue, Prats entame une recherche sur ce que constitue l’acte théâtral. De cette forme hybride a résulté un spectacle coloré, contemplatif et explosif dans lequel 8 interprètes proposent un joyeux recommencement au fait de «faire du théâtre», décrit-on dans l’historique du projet. «C’est un spectacle qui réfléchit sur qu’est-ce qu’on raconte et comment on raconte les histoires, autant par les mots que par les images. Ce que je fais, c’est du tableau vivant», explique celle qui a retravaillé les textes suite aux chamboulements de notre rapport aux autres et de la notion de collectivité postpandémie. «Puisque Cet intervalle est un spectacle qui interroge l’acte théâtral, je ne pouvais donc pas faire de l’économie d’une réécriture du projet, afin de la faire résonner avec les questions d’aujourd’hui: tous ces rassemblements que nous n’avons pu vivre et ce que ça nous fait d’être en présence.»
Lundi dernier, la dizaine de collaborateurs, dont deux acteurs débarqués directement de Bruxelles, étaient affairés ensemble à nettoyer et à prendre possession de ce lieu qui pourra accueillir une cinquantaine de spectateurs pour trois représentations du 1er au 3 juillet prochain. Cette magnifique grange du patrimoine bâti du chemin de la Rivière-du-Nord appartient à deux artistes en art visuel ravis (les McCall), heureux d’y voir débarquer la nouvelle voisine et ses artistes provenant du monde contemporain. Maman Charmaine et son conjoint Daniel veillent aux bons soins de la troupe en portant le titre évocateur de directeurs logistiques et bien-être, ainsi que certains voisins qui offrent même le gîte à cette équipe davantage montréalaise.