Un garde-manger sur son balcon

Par Karine Audet
Un garde-manger sur son balcon

Robert Patterson est originaire de Lachute. C’est un spécialiste en agriculture qui a travaillé de nombreuses années pour les Nations-Unies. Il a vécu notamment en Afrique, en Amérique latine et dans les Caraïbes à aider les populations locales à augmenter les rendements de leurs terres et ainsi atteindre une relative autonomie alimentaire. Le constat qu’il fait de la situation alimentaire dans le monde est consternant. Plus de la moitié de la population du globe ne mange pas à sa faim. Les causes de cet état de choses sont multiples, mais une bonne partie d’entre elles dépend des mauvais rendements agricoles. Terres pauvres, technologie déficiente, méconnaissance des principes d’une agriculture efficace ne sont que quelques-uns des facteurs qui entraînent la malnutrition.  La mission de Robert Patterson consistait précisément à trouver des solutions à ce problème.  

La solution, pour citer Robert Patterson, consiste à penser comme une plante.  Pour croître en santé et donner des rendements intéressants, les plantes ont besoin d’abord de sécurité, c’est-à-dire d’un environnement libre de prédateurs et de risques de maladie; ensuite, d’eau, de nourriture, d’air, et bien sûr de lumière. Dans les pays les plus touchés par la malnutrition le manque d’eau constitue probablement le plus grave obstacle. Ce sont les femmes et les enfants qui vont la chercher là où elle se trouve, souvent loin du village; en outre, ils ne peuvent en rapporter qu’une petite quantité à la fois. De deux choses l’une: ou bien on investit beaucoup d’argent et d’énergie dans des travaux d’irrigation, ou bien on s’organise pour utiliser le moins d’eau possible.  

La réponse vint de Floride ou un éleveur de tomates avait imaginé une forme de jardinage en caissette. Robert Patterson conclut une entente avec lui afin d’utiliser son système dans une vingtaine de pays. 

Il s’agit de bacs qui satisfont aux cinq besoins fondamentaux des plantes. Ces environnements fermés sont parfaitement sécuritaires et conçus de manière à permettre aux plantes de puiser toute l’eau dont elles ont besoin ainsi que les nutriments nécessaires à leur croissance. Le bac, fait de plastique recyclé, possède un double fond; la partie du bas contient l’eau, celle du haut un terreau léger qui permet aux racines de l’absorber par capillarité. On ne risque pas de noyer les plantes puisque des trous aménagés dans la partie du bas éliminent le surplus de liquide lorsque la quantité maximale est atteinte. Ces trous assurent également la circulation de l’air, ce qui prévient la pourriture des racines. Quant au terreau, il se compose de mousse de sphaigne, de déjection de vers, de perlite et comporte suffisamment de nutriments pour les besoins des fines herbes. Les végétaux plus costauds (tomates, melon, courgettes, etc.) exigent l’apport d’un engrais supplémentaire.   On notera que le terreau est réutilisable d’année en année. Il suffit de le débarrasser des grosses boules de racines qui se seront formées durant la saison. Quant au besoin en lumières, le bac peut se déplacer: au soleil pour la plupart des productions, à l’ombre pour quelques-unes d’entre elles.  

En 2011, ayant pris sa retraite de l’ONU et devant l’engouement du grand public pour un retour aux valeurs de base – nourriture saine, bonnes habitudes de vie, cuisine végétarienne, achat local, etc. – Robert s’emploie à partager sa découverte avec ses contemporains. Il redessine la caissette qu’il nomme Caja (prononcer : kaha en crachant le h) et fonde Eco Verto au Mexique pour la fabriquer en plastique recyclé. Cette Caja connaîtra une destinée remarquable en Amérique. Outre ses avantages botaniques mentionnés plus haut, la Caja permet de jardiner dans des milieux improbables: les cours d’école asphaltées, les balcons de résidences pour personnes âgées, les toitures d’immeuble ou de condominium, ou carrément les entrées de garage.  

Le bac mesure 74 cm sur 34 cm et a une profondeur de 29 cm, ce qui permet d’y planter des légumes racines, comme la carotte, les pommes de terre ou le céleri-rave. Le réservoir contient 10 litres d’eau et selon les conditions du temps, on peut se permettre d’oublier d’arroser pendant une dizaine de jours. L’ajout de tuteurs extérieurs ou intérieurs est possible pour les plantes qui poussent en hauteur (tomates, concombres, ou légumes grimpants).  En 2015, la Caja fait son apparition au Canada et depuis, cahin-caha, elle fait son petit bonhomme de chemin à travers le pays. On en trouve aujourd’hui un peu partout, de l’île Victoria dans l’Ouest jusque dans les provinces maritimes dans l’Est. En passant par Argenteuil puisque la Station 210 en partenariat avec Jessica Simons, horticultrice, offre non seulement la Caja, mais aussi le terreau, l’engrais et même les plantes qui constituent un jardin «clé en main» . Il suffisait à la fin de l’été dernier de constater la débauche de fines herbes et de légumes émergeant des Cajas devant la Station 210 pour mesurer l’efficacité de cette forme d’agriculture urbaine. «Vous avez intérêt à aimer beaucoup ce que vous plantez, dit Karen Freitag, copropriétaire de la station 210, parce que vous en aurez en abondance, pour les fous et pour les sages».   

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