Jacques Charbonneau, finalement reconnu!

Par Claude Martel
Jacques Charbonneau, finalement reconnu!

L’École des Beaux-Arts de Montréal a été intégrée à l’UQAM en 1969. Pourtant, Jacques Charbonneau a été diplômé en sculpture de cette école en 1971, sans n’avoir jamais mis les pieds dans l’Institution de la rue Saint-Denis. Selon ses dires, il occupait les lieux pour des raisons idéologiques, ce qui définit assez le personnage.  

Durant les années qui suivent sa sortie de l’école, on trouve de ses œuvres dans quelques galeries québécoises, mais c’est une exposition solo de photomontages et de collages en 1978 à la galerie Westbroadway de New York qui donne le coup d’envoi d’une carrière internationale. C’était bien avant Photoshop et autres logiciels graphiques. «Je faisais ça à la mitaine», dit-il fièrement. Assez rapidement, il s’oriente vers les arts technologiques qui le passionnent au point de devenir un pionnier québécois de ce qu’on a appelé le Copy-Art, qu’il préfère nommer l’électrophotographie. 

 Comme l’art ne nourrit pas (ou mal) son homme, il met sur pied en 1982 le Centre Copie-Art, un organisme commercial pour soutenir la galerie Motivation V qu’il a fondé en l979. L’entreprise veut générer des revenus autonomes afin de s’affranchir des subventions de l’État. Elle offre donc des services de photocopie à divers clients. Parmi ces derniers, on note la plupart des universités, le Cirque du Soleil, Radio-Canada, plusieurs entreprises et des individus. Il faut se rappeler qu’à l’époque, les photocopieuses étaient plutôt encombrantes et n’étaient pas à la portée de tous comme aujourd’hui.  

Expositions globale

Durant les décennies suivantes, Jacques Charbonneau participe comme artiste ou commissaire à une kyrielle d’expositions individuelles et collectives aux titres évocateurs: Que sont les pionnières devenues? Don Quichotte de la Mancha, Illusion Symbiotique, Mutations anthropiques, Abstractions en noir et blanc, Variations Nelligan, Portraits analogiques et numériques, etc. Durant la même période, il expose aussi au Vénézuela (Peces y electronica), au Pérou (Fotos-montajes), à Paris (Roches fuyantes et La disparition de l’alphabet), au Brésil (Copyart), en Suisse, en Espagne et en Allemagne. 

Créateur à plein temps, Jacques Charbonneau se veut également passeur de culture. Il fonde des centres de diffusion pour sa production personnelle bien sûr, mais aussi celle des artistes qui explorent les mêmes territoires. Outre Motivation V, il crée en 1979 le Regroupement des arts technologiques du Québec auquel s’ajoutera la Galerie Arts Technologiques dont il assume la direction artistique jusqu’en 1996. Ayant acheté une maison à Pointe-au-Chêne en 1994 et las des allers-retours quotidiens, il quitte Montréal en 1997 en même temps qu’il démissionne de Copie-Art. Le centre lui survivra un an.  

Recycl’Art

Dans Argenteuil, Jacques continue de produire et d’exposer. 2001: il fonde à Calumet Recycl’Art qui réunit vingt-six sculpteurs à qui il confie la mission de créer des œuvres à partir de matériaux récupérés. Trois ans plus tard, c’est Montpellier qui accueille trente sculpteurs qui deviendront soixante-dix en 2007. De retour à Grenville-sur-la-Rouge, il poursuit des travaux d’envergure sur sa maison qu’il transforme tranquillement en véritable caverne d’Ali Baba consacrée à l’art. Mais cédant au besoin d’organiser (c’est dans son ADN), il crée Le Sentier des arts de la rivière Rouge. Il s’agit d’un parcours jalonné de sculptures in situ le long de la rivière Rouge. Les artistes utilisent les matériaux trouvés sur place auxquels ils ajoutent quelques éléments extérieurs ainsi que de la couleur. Jacques Charbonneau négocie actuellement avec le conseil de Grenville-sur-la-rouge pour une troisième édition. Même s’il ne renie pas ses premières amours de sculpteur (son jardin fourmille de ses créations réalisées à partir d’objets récupérés), Jacques Charbonneau poursuit ses recherches en « électrophotographie ». Il prétend chercher à s’étonner lui-même. Sa plus grande joie, dit-il en substance, c’est de constater qu’une œuvre qu’il a oubliée est bien de lui.

Lorsqu’il parle du prix Caravaggio, Jacques devient songeur. Il n’aurait pas détesté que l’establishment québécois reconnaisse sinon sa personne du moins la forme d’art qu’il pratique. Il se trouve encore des gens pour qui le Copie-Art n’est qu’un accident de parcours dans l’histoire, une forme d’expression mineure, donc négligeable. Il est déçu, certes, mais pas amer. Il n’a pas de temps à perdre en ressentiment. Son énergie, il préfère la consacrer à inventer de nouvelles images, à assembler de nouvelles pierres ou à modifier un tronc d’arbre avec des clous et de la peinture. Il aura fallu que la reconnaissance vienne d’Italie pour qu’on se rende compte que Jacques Charbonneau existe ici, chez nous et que son parcours qui dure depuis cinquante ans n’est pas à dédaigner.

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