Des oliviers à Lachute? Une question de temps…

Des oliviers à Lachute? Une question de temps…

Un des fils, Esber Esber, 12 ans, entretient une correspondance avec une jeune Québécoise de Thetford Mines avec qui il échange des produits locaux: de l’huile d’olive contre du sirop d’étable et… de l’amiante. Mille-neuf-cent-soixante-quinze, la guerre civile éclate au Liban. À Beyrouth, Esber Esber, en digne héritier de ses ancêtres phéniciens qui avaient le commerce dans le sang, fait du marché noir et traverse parfois sous les balles la «ligne de démarcation» qui sépare musulmans et chrétiens procurant aux uns comme aux autres toutes sortes de produits. L’espérance de vie d’un contrebandier n’étant pas très longue, Esber quitte le Liban. Par sa correspondance, il possède une certaine connaissance du Canada et comme il parle la langue en plus, il atterrit à Ottawa et se met aussitôt en quête d’un emploi. Les Libanais ont des cousins partout, c’est connu. C’est donc par l’intermédiaire d’un cousin qu’Esber est engagé à l’hôtel Elgin où il sera plongeur puis serveur avant de devenir gardien de sécurité à la Banque Royale, pas très loin du parlement.  

Il s’inscrit à l’Université d’Ottawa en informatique avec une mineure en économie. Mais comme les références sont en anglais, il choisit de terminer son cours à l’université Laval où il obtient son diplôme. Pour gagner sa vie, il travaille au ministère de l’Environnement puis au CRTC. Sa passion toutefois, c’est le commerce.  

À la mort de son grand-père, il hérite du quart de l’oliveraie de Koura, les trois autres quarts étant partagés entre ses cousins. Il faut dire que depuis sa venue au Québec, Esber est retourné plusieurs fois dans son pays d’origine pour visiter la famille. Chaque fois, il rapporte en guise de cadeau pour des ses amis quelques bouteilles d’huile provenant du pressoir ancestral. L’idée d’importer de l’huile et pourquoi pas, des olives, lui vient donc naturellement.  

Il y a des règles à respecter pour importer des produits alimentaires. Des règles et des coûts. Au début, les quantités étant petites, les bouteilles font le trajet en avion par la société Arramex, un transporteur de Dubaï; il s’agit pour Esber de mettre sur pied la filière de distribution depuis l’oliveraie jusqu’aux acheteurs qui sont d’abord des restaurants libanais. Cette ligne établie, on passe à l’étape suivante : l’importation de plus grands volumes, cette fois par bateau. Deux mois d’attente au lieu de 48 heures. Et on paye d’avance.  

Afin de réduire ses frais, Esber et son épouse, Roula, effectuent un maximum d’opérations eux-mêmes: conditionnement des olives, livraison des commandes, distribution aux clients, vente dans les marchés publics ou les foires locales. Comme il compte dans sa pratique plusieurs clients à Ottawa et à Québec, deux villes qu’il connaît bien pour y avoir longtemps vécu, il choisit de s’installer à mi-chemin, à Lachute. Cela lui ouvre en prime le marché des Laurentides.  

Il ne tarit pas d’éloges à l’endroit de Lachute et d’Argenteuil : «Les gens m’ont accueilli généreusement. Je ne me suis jamais senti étranger en m’installant ici.» Au début toutefois, comme la plupart des nouveaux arrivants, il avait la nostalgie de son pays d’origine, mais au bout de quelques années, il s’est rendu compte que les occasions d’affaires étaient plus intéressantes ici que là-bas. Malgré l’hiver. Et puis, ici, il n’y a pas la guerre.  

À soixante-deux ans, Esber caresse encore des rêves: avec Roula qui a quitté l’enseignement pour consacrer toute son énergie à Koura, il souhaite ouvrir à Lachute une société de conditionnement de produits importés et locaux. Il ne veut pas donner plus de détails pour le moment, mais si le projet se réalise, cela assoira son entreprise sur des bases solides en plus de procurer des emplois dans la région. Son rêve le plus fou: faire pousser des oliviers chez nous.  

Il y a sept ans, Esber a planté dans un pot un noyau d’olive qu’il bichonne depuis comme si c’était son enfant. Jusqu’à présent, l’arbre est encore tout petit et a produit… deux olives. Esber y voit une promesse. «Au Liban, dans certaines régions, il y a plus de neige qu’au Québec. Je veux voir si mon olivier peut s’adapter aux conditions climatiques d’ici. Peut-être que je rêve en couleurs, mais n’oubliez pas qu’il y a quarante ans, on disait que la vigne ne pousserait jamais au Québec. Combien y compte-t-on de vignobles aujourd’hui?»  

À Lachute, les produits Koura sont disponibles à plusieurs endroits, dont Aux Lubies gourmandes et à La table est mise.  

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