L’endroit maudit

L’endroit maudit

À l’époque, c’était le repère d’un groupe de motards qui s’appelait les Popeye’s (comme celui qui mange des épinards)! Ils étaient associés aux Hell’s Angels et les frères Dubois de l’est de Montréal, disait-on. Ce n’était pas le genre de monde qui se réunit le dimanche après la messe sur le perron de l’église pour parler de l’homélie du curé (l’homélie pour les plus jeunes c’est un peu beaucoup l’éditorial du curé). 

À l’époque, ils étaient en guerre avec Les Devil’s Disciples, Les Outlaws et Les Satan’s Choice. Comme vous voyez, le crime organisé ne manquait pas d’imagination pour se choisir des noms de club, qui se foutait bien de la langue française. 

Dans les années 70, Les Popeye’s étaient parmi tous ces groupes considérés comme le plus violent, les plus sadiques. C’était l’époque à mille lieues d’aujourd’hui… 

Peu importe à quelle heure tu passais devant le Pool room, il y avait toujours une rangée de motos alignées parfaitement une à la suite de l’autre. Des gros «choppers» avec des poignées Mustang, des Harley-Davidson chromées de la tête au pied et des poupounes aussi chromées que leur «bécycle».  

C’était l’époque du fameux tournoi annuel de pool qu’on nommait «La classique d’Argenteuil». Les meilleurs joueurs de 8 de la province et même de l’est de l’Ontario se retrouvaient à Lachute pour cette occasion. Un chaos du début à la fin. Une tombola sans ciel, ni terre, ni matin, ni soir et ni repère. Nul besoin de boussole quand tu es au milieu de la tempête. Puis les beaux jours du Lachute Pool room comme ceux des Popeye’s se sont écoulés. Le temps a fait son œuvre.  

À la fin des années 80, il m’était interdit d’aller voir ce qui se passait au Pool room, même si la place n’était plus ce qu’elle avait déjà été. Nos parents avaient peur de cet endroit qu’il appelait le maudit pool room. 

Fidèle adolescent contestataire qui se respecte, j’ai fini par y mettre les pieds.  

J’ai joué au billard tout en mettant de la musique dans le jukebox. C’était, je crois, Bohemian Rhapsody de Queen. Les cadres sur les murs d’un passé déjà longtemps passé, les stools de cuire rouge au bar, la table de snooker pour les Anglais, l’horloge Molson qui était toujours à la même heure -comme si le temps s’arrêtait ici- un rack à chips, pis un rack en taule pour mettre les bouteilles vides et des cendriers partout faisaient office de décor. 

Une légende urbaine a longtemps circulé à Lachute. Une fois de temps en temps, elle refait surface. On raconte que certain soir de pleine lune à la croisée de la rue Grâce et de la rue Argenteuil, on peut entendre des coups de douze en rafale retentir dans la nuit, comme les trois coups sur les planches au début d’une pièce de théâtre… Un silence de mort embaumerait la nuit par la suite sur l’avenue Argenteuil d’est en ouest. Le ciel serait clair et la lune pleine au bouchon illuminerait l’ancien endroit maudit détruit dans les années 2000. Quelques minutes plus tard, on pourrait entendre des Popeye’s rincer leur «chopper» et partir sur un nowhere à l’infini, même si l’avenue Argenteuil est complètement vide. 

La 8 au coin, quitte ou double? 

 

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