Depuis 1825, mais pas cette année…

Depuis 1825, mais pas cette année…

La barbe à papa, les gros toutous, les lumières étincelantes une fois le soleil tombé dans la rivière du Nord, les vendeurs de cossins qui crient à tue-tête, la friture qui sent partout dans la ville et le bruit ambiant comme une ode au bonheur.  

 Je me souviens d’une année où j’avais vidé mon compte à la caisse Desjardins pour aller à l’expo de Lachute avec mon frère pis ma mère. J’avais rassemblé chaque cenne qui me restait pour pouvoir vivre l’expo à plein. Nous avions décidé d’y aller le soir, question de vivre l’expérience à son maximum. Nous étions en 1982, je venais d’avoir 9 ans et balloune 5 ans.  

 Pour la circonstance, j’avais enfilé ma plus belle paire de jeans, du moins la moins vieille. Je portais avec fierté mes souliers trois couleurs des Expos de Montréal. J’étais prêt pour vivre et faire vivre l’expo de Lachute.   

Rien de trop beau pour le garçon qui vient de vider son compte à la caisse. Nous prenons deux passes pour la soirée, ce qui veut dire que nous pouvons faire tous les manèges jusqu’à perte d’identité. Ma mère Mado a des yeux gros comme des trente sous de nous voir si heureux.   

 On commence par deux immenses barbes à papa, question de se coller les doigts et les sourcils comme il faut jusqu’au coude! Mado avait plus d’un tour dans son sac et elle avait apporté une débarbouillette, celle de son «cygne». La soirée commençait parfaitement. Balloune était fasciné par l’épreuve de la massue. La fameuse attraction d’épreuve de force dans laquelle il faut faire sonner une cloche en frappant avec une grosse masse. Aux dires du saltimbanque qui s’occupait de cette attraction, Balloune était trop petit pour soulever la masse.   

Lui ne connaissait pas encore l’acharnement d’un petit garçon de 9 ans du petit Canada. J’ai demandé un deux piasses en papier à ma mère et je les ai donnés avec un sourire au monsieur. Il a ri de bon cœur, lui qui en quelque sorte vie la vie de cirque, une vie difficile remplie d’embûches, d’interminables heures d’ouvrage et de tentation.   

Il m’a redonné mon deux piasses en papier et il m’a dit d’apporter mon frère vite qu’il va le passer entre deux clients.   

Roulement de tambour, la foule était silencieuse dans mes souvenirs.   

Balloune 5 ans a la masse dans les mains, il l’a soulevé à l’étonnement de tout le monde et frappe mollement sur la plaque au sol. L’indicateur ne se rend pas à la cloche, mais c’est tout comme.  On l’applaudit à tout rompre et je suis persuadé que l’écho de nos cris de joie résonne encore aujourd’hui dans ses oreilles de petit gars.  

J’ai remercié le monsieur qui semblait fatigué et dans la soirée, j’ai été lui porter un coke en guise de remerciement.   

Une soirée à l’expo de Lachute comporte un certain risque et ce risque ultime avait un nom. Il s’appelait de triste mémoire le Zipper. Juste de l’écrire, j’ai des frissons d’horreur. Ce manège était là pour vous rappeler que vous n’étiez pas éternel. Ce manège-là était là pour faire pleurer les petits braillards comme moi. Balloune lui n’a pas pleuré, au contraire il était excité encore plus qu’avec la massue.  

Une fois sortie du manège maudit, j’avais changé de couleur comme Michael Jackson. J’étais blanc comme un drap aux dires de ma mère qui avait de la misère à retenir son rire.   

C’était maintenant l’heure de dépenser notre argent sur les jeux d’habileté. L’attrape à con de chaque foire qui se respecte.  

J’ai dépensé beaucoup d’argent, mais rien gagné jusqu’au dernier jeu, celui de faire tomber des bouteilles avec des balles. La fille qui s’occupait de l’attraction m’a vu arriver de loin les larmes aux yeux. Je lui ai dit que c’étaient mes derniers sous.  

Il est tard, la lune est bien installée dans la nuit de Lachute. Le ciel est rempli d’étoiles, la soirée est belle comme toutes les filles du petit Canada.   

J’ai trois balles et il y a trois bouteilles à faire tomber devant moi.  

Balloune de me dire, on va prendre le plus gros toutou. Merci pour la pression mon petit frère. Les bouteilles sont collées les unes sur les autres et forment un triangle. J’ai l’impression de m’engouffré dans le triangle des Bermudes, mais versions comté d’Argenteuil.   

 Mes deux premières balles ont frappé le vide. Étrangement, ce vide faisait du bruit surtout dans ma tête. Arrive le dernier lancé. La fille qui s’occupe de jeu s’est approchée des trois bouteilles et du tonneau sur lequel elles étaient. Une fois que j’ai lancé la balle mollement, j’ai vu ses hanches frapper le tonneau d’un petit coup sec. Les bouteilles n’ont pas tenu le coup. Mon frère m’a sauté dans les bras comme si je venais de gagner la série mondiale. J’étais devenu Gary Carter avec une prise au 2e but.  

Le toutou, c’était pour balloune. Moi, je n’aimais pas ça! Tout le monde était heureux et en partant j’ai entendu la fille du jeu dire « Salut Mado, appelle-moi cette semaine», comme quoi même les mamans de milieu pauvre ont plus d’un tour dans leur sac.

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