Les samedis d’hiver dans mon coin de misère étaient magiques. Il me réconcilie avec mes souvenirs d’enfance. Ces samedis d’hiver ont l’odeur de beigne aux patates de ma vieille mère Mado. L’étoile de Guy Lafleur commençait à pâlir comme celle du Canadien en général. Par contre celle des Expos était bien en vue dans le firmament de nos soirs d’été.
En 1980, les samedis commençaient de bonne heure comme le disait ce grand philosophe de l’ère moderne Claude «Piton» Ruel, l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt pour le «warm-up»! Vers 6h dans le petit matin, nous étions déjà à glisser sur la côte en avant de la maison. La cagoule, la crémone, les mitaines conçues pour prendre l’eau, les bottes Sorel, les salopettes toujours trop grande ou trop serrée, le manteau trop chaud ou pas assez pis toujours un peu de morve sur le bord du nez c’est comme qui dirait un prérequis.
Par la suite, si nous étions assez de monde, on jouait au hockey et dans ce temps-là tout le monde voulait être Bossy, Tonelli ou Bryan Trottier. C’était la dynastie des Islanders de New York, ma mère préférait Dynastie avec le beau Blake à Télé-Métropole.
Dans les hivers de mon enfance, c’est comme si le p’tit Canada était emmitouflé dans une boule de Noël qu’il fallait brasser. Mon quartier féérique, mais avec des bouteilles vides et parfois les pleurs des mères monoparentales en symbiose avec la musique de beaux dimanches à Radio-Canada.
Arrive l’heure J dans mes samedis d’hiver… Il était 16h partout dans le comté d’Argenteuil, les rues et ruelles se vidaient, car c’était le début de Bagatelle à Radio-Canada. Parfois ma mère nous accueillait avec un bon chocolat chaud.
Assis sur le tapis du salon, mes cartes de hockey préférées à côté de moi, mon petit frère qui a 3 ans et notre chat Magoo entre nous deux qui ronronne de bonheur. J’aurais pu m’endormir facilement, mais ce n’était pas le temps.
C’était l’heure de petit trot et grand galop…OLÉ! EL KABOOOOOOOONG! Emmitouflé dans mes certitudes, je frotte mes pieds sur le tapis du salon. La bombe nucléaire pourrait tomber au milieu de Lachute que ça ne dérangerait pas mon bonheur présent à ce moment-là.
Pour souper, c’est un ordinaire spaghetti trempé dans du jus de tomate! Ce n’est pas de la gastronomie, mais c’est fait avec le cœur d’une maman, celui de ma vieille mère. Mon Frère prend son bain bouillant et une fois qu’il a fini je vais aller tremper dans la même eau. Ça ne me dérange pas, c’est mon frère. Je suis prêt pour la soirée, j’ai mon pyjama de hockey sur le dos, celui de la ligue nationale en flanelle, mes pantoufles en phentex et mes cheveux mouillés par en arrière.
Mes cartes de hockey sont à côté de moi, souvent les cartes des deux équipes qui vont jouer samedi soir. Ma table de hockey n’est pas loin non plus. La partie de hockey peut commencer, mais il n’est que 18h. C’est l’horrible émission sur les animaux la mutuelle d’Omaha, il me semble, dans mes vieux souvenirs.
Le logis est embaumé par l’odeur des beignes aux patates de ma mère. Le petit logis de la rue Filion est un immense beigne aux patates. Ça sentait tellement bon que j’avais l’impression que le Bon Dieu lui-même pendant son chiffre venait prendre sa pause dans la cuisine de Mado. Dans la cuisine au-dessus du frigidaire, je pouvais entendre les ondes de CJLA la radio de Lachute.
Le samedi, c’était souvent le spécial rock n’ roll, c’est dans ses samedis que j’ai découvert Les Beatles. Ma mère dansait, faisait ses beignes pendant que mon père n’était pas là. Mon père est un fantôme en quelque sorte. Ma mère dansait malgré l’aide sociale, malgré mon père, malgré la vie.
À 19h, c’était Le monde merveilleux de Disney, merveilleux seulement quand on nous présentait des dessins animés, sinon leurs films étaient mauditement plates. 20h. Les rues et ruelles du comté d’Argenteuil sont vides. Il y a de la lumière dans tous les salons de la région. Lionel Duval présente le hockey dans son bel habit bleu poudre et par la suite donne son micro à René Lecavalier et Richard Garneau.
Le Canadien a perdu ou gagné, mais une chose est sûr, Chris Nilan s’est battu. J’ai bu une liqueur Fiesta en bouteille et mangé des beignes aux patates.
Les beignes de Madelaine Mallette étaient aussi bons que celui du vieux monsieur au marché aux puces, le mardi. C’est pas peu dire.