Michèle Bourgon, entre l’érotisme et la sexualité

Par Karine Audet
Michèle Bourgon, entre l’érotisme et la sexualité

L’auteure n’est pas d’accord. Le livre parle de sexe, certes, mais Michèle Bourgon fait une nette différence entre sexualité et érotisme. Si ça se trouve, une seule de ses nouvelles mérite le qualificatif d’érotique: Le désir. «Le désir! Quel beau mot! Doux, soyeux, mais incisif en même temps. C’est comme un acide qui se distille en toi et qui insidieusement t’embrase le ventre jusqu’à ce que tu veuilles hurler.» Pour les autres textes, «la sexualité sert mon propos», dit l’auteure. Elle convient toutefois qu’on pourrait parler de sensualité pour décrire l’ambiance plus charnelle que sentimentale qui se dégage de ces nouvelles. 

Cette sensualité se traduit par le portrait physique que Michèle Bourgon fait des hommes. Sans âge pour la plupart, ils sont beaux, séduisants, charmants, désirables… mais toxiques. «Après avoir écrit ce recueil, je me suis rendu compte que je malmenais un peu les hommes.» Malmener est un euphémisme parce que de tous les personnages masculins, aucun n’est vraiment fréquentable. Michèle se défend: «je ne voudrais pas qu’on pense que je n’aime pas les hommes. J’aime les hommes, mais je suis méfiante.» Pourtant ne dit-on pas que les écrivains se révèlent, parfois inconsciemment, dans leurs écrits? «Oui, c’est vrai, répond-elle, mais j’aime les hommes», insiste-t-elle.  À ceux qui lui demandent si elle n’a pas envie parfois d’écrire de «belles histoires», elle répond que cela ne l’intéresse pas, que ceux qui veulent de la romance à l’eau de rose n’ont qu’à se tourner vers les romans Harlequin. En somme, elle fait ce que tous les auteurs font de façon routinière depuis que la littérature existe: elle cherche les antagonismes, le conflit qui rend intéressantes les relations humaines. «On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments», disait Henri Jeanson. 

S’il est évident que Michèle Bourgon est féministe, le fanatisme lui répugne. Il y quelques années elle écrivait sur le site Sisyphe qui propose «un regard féministe sur le monde». Elle a abandonné parce qu’elle estimait que les responsables du site allaient trop loin. «Les hommes, elles  les haïssaient». Elle se définit donc comme féministe raisonnable. Ce qui ne l’empêche pas d’écrire à la fin d’un texte: «Ah! Les hommes! Des énigmes!» en écho à une phrase qu’emploient parfois les hommes pour parler des femmes. 

Michèle Bourgon entretient avec son public une relation qui peut paraître singulière. Elle ne le perd jamais de vue quand elle écrit ses histoires. Elle ne lui fait pas de concession quant aux thèmes qu’elle aborde ou les sujets qu’elle exploite. Mais si elle écrit d’abord pour elle-même, elle ne peut pas faire abstraction des connaissances de son lecteur moyen. Certains diront qu’elle ne leur fait pas confiance. C’est que l’ancienne prof de littérature n’est pas bien loin qui veille au grain par-dessus l’épaule de l’écrivaine.  Que ce soit par des notes en bas de page qui expliquent certains mots (alter ego, amadou, ruban de Moëbius, etc.) ou par une phrase explicative après la chute d’une nouvelle, elle se veut limpide quitte à en donner plus que ce que demande le client. Autrement dit, ce n’est pas parce que la pédagogue n’enseigne plus que réflexe d’expliquer est disparu.  

Michèle Bourgon s’est toujours voulue passeuse de culture un statut qui n’est apparemment pas sans risque; lorsqu’elle a dénoncé la volonté des enseignants du département de français du Cégep de Saint-Jérôme d’en finir avec les grandes œuvres (Corneille, Racine, Baudelaire, etc.) au motif que les élèves ne les comprenaient pas, elle a dû subir les foudres de la direction. 

Il arrive toutefois que le mieux soit l’ennemi du bien, que les explications diminuent l’impact d’une nouvelle. Ajouter une ligne explicative ou un conseil au lecteur après la chute d’une nouvelle peut nuire à cette dernière et décevoir le lecteur. Néanmoins, Michèle persiste et signe tant son désir de clarté est grand. «J’ai toujours peur qu’ils (les lecteurs) ne comprennent pas et bien souvent, ils ne comprennent pas.» 

Ce genre de réflexe a toutefois son bon côté. Michèle Bourgon aime la langue et ça paraît. Dans son recueil de poèmes Feux de langue, elle jouait avec les mots comme une chatte avec une balle de laine. Dans Rendez-vous, elle ne recule pas devant l’usage de calembours comme dans l’Histoire de La vieille qui avançait dans l’amer, petit clin d’œil à Frédéric Dard, créateur de San Antonio. 

Pour finir, si vous êtes une femme, vous apprécierez sans doute Rendez-vous pour son regard sur l’intimité féminine; si vous êtes un homme, vous aurez la satisfaction de pouvoir dire, ce n’est pas de moi qu’il s’agit, je ne suis pas comme ça.  

 

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