Une vie pleine, archipleine

Par Karine Audet
Une vie pleine, archipleine

C’était son anniversaire la semaine dernière. 90 ans! Pour le célébrer, ses quatre enfants (à travers toutes ses occupations, il a trouvé le moyen d’élever une famille) lui ont offert un séjour au Château Vaudreuil, si bien que la fête a duré quelques jours. Les plus rusés auront reconnu Hubert Pilon, fier membre Lion depuis plus de 45 ans, et ingénieur pour la ville de Lachute pendant 14 ans. Et conseiller pour plusieurs autres villes. 

Il est né aux Cèdres, petite municipalité de la Montérégie blottie le long du fleuve Saint-Laurent plus connu à cause du canal de Soulanges qui, avant la construction de la voie maritime (1959), permettait aux bateaux de contourner les rapides dans la région de Montréal. Il a fait ses études au collège de Rigaud puis à la Polytechnique de l’Université de Montréal. Au sortir de l’école, en 1958, il est engagé chez LGL (Lalonde, Girouard et Letendre) une firme d’ingénieurs-conseils dont le patron, M. Lalonde, avait un caractère de cochon. C’est du moins ce qu’en dit Hubert Pilon dans ses mémoires qu’il a écrites pour ses enfants et, surtout, ses petits-enfants afin qu’ils sachent qui était leur grand-père.  

Écrit avec le cœur, l’ouvrage nous présente un personnage qui aura vécu une vie marquée au coin de la passion: passion pour son métier à quoi il a consacré 40 ans de sa vie, presque jour et nuit pourrait-on dire, passion pour son épouse Pauline et ses quatre enfants, passion pour le hockey qui était presque une religion pour lui, passion aussi pour la politique qu’il a pratiquée, mais en coulisses. 

À 90 ans, Hubert Pilon reste en forme. Grand sportif, il a accroché ses patins à 79 ans. Tous les matins, il pratique la technique Nadeau (un programme d’exercices doux d’une quinzaine de minutes) et il va ramer dans le petit gymnase de son immeuble. Oiseau rare chez les nonagénaires, il ne prend aucun médicament.  Depuis quelques semaines, toutefois, il boite un peu si bien qu’il marche avec une canne, ce qui lui fait dire qu’il commence à sentir le poids des années.  

Il a récemment renoncé de lui-même à conduire sa voiture «parce que, tout seul en auto, je m’endormais tout le temps». Il l’a donc vendue et prend des taxis. «Un char, ça coûte dix mille piasses par année; tu peux en prendre pas mal, des taxis, avec dix mille piasses», admet-il. Renoncer à sa bagnole, c’est un deuil, mais au moins il est content de savoir que la décision venait de lui et non pas d’un médecin ou d’un fonctionnaire.    

Hubert Pilon a toujours été indépendant. Non pas qu’il avait mauvaise tête, mais il aimait bien cultiver lui-même son jardin. Parmi les quelques firmes qui l’ont engagé, c’est Lavalin qui lui a laissé le souvenir le moins agréable. Il a même démissionné trois fois. Quand on est habitué à travailler dans un bureau qui compte une poignée de collègues, le choc est grand lorsqu’on arrive dans un milieu d’une centaine de personnes. On se retrouve seul dans la foule, et cela allait tout à fait contre la nature grégaire d’Hubert. Il est clair que ce dernier a toujours aimé le monde. Au cours de sa carrière, son grand défi a été de se faire accepter dans les villages qui composaient sa clientèle. Il cite l’exemple de Saint-Adolphe-d’Howard où on l’avait engagé pour résoudre le problème d’infiltration des égouts dans le lac Saint-Joseph. Comme la solution proposée coûtait cher, une partie de la population s’était montrée franchement hostile son endroit, «l’étrange» qui venait d’ailleurs. Au final, à force de rencontres, de discussions et de petits déjeuners quotidiens près du chantier, Hubert Pilon parvint à mettre la population de son bord.  

«L’important, répète-t-il, c’est de ne pas se prendre pour un autre!» Et aussi ne pas considérer les contrats qu’on décroche comme des échelons dans l’échelle d’une carrière. Si, jusqu’à l’âge de soixante-quatre ans, Hubert a travaillé parfois jusqu’à seize heures par jour, ce n’était pas pour se faire bien voir de ses patrons, mais pour apprendre et parce qu’il aimait ça.  

Et la famille là-dedans? Hubert devient un peu songeur. «Heureusement, dit-il au bout d’un temps de réflexion, j’avais une bonne épouse qui m’a parfaitement secondée.» Pauline, sa femme avec qui il a vécu 58 ans, est décédée en 2015. Aux murs de l’appartement, plusieurs photos de cette femme au regard limpide témoignent de leur attachement mutuel. D’ailleurs, lors de ses promenades presque quotidiennes au cimetière du boul. Argenteuil (cimetière qu’il a contribué à sauver des eaux quand la rivière du Nord l’a envahi), il cause avec Pauline. Il est croyant, bien que la religion organisée lui apparaisse comme une vaste entreprise de tromperie. Il croit en la vie après la vie. Cela s’appelle l’espérance. 

À quatre-vingts -dix ans, c’est sûr que Hubert pense à la mort.  Mais il n’en fait pas un drame. Il n’a pas peur de mourir, c’est la détérioration de la personne qui l’indispose. Il a pourtant de bons gènes. Sa mère est morte à cent-six ans. Lui ne veut pas vivre si vieux. 

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