Bol d’air pur: étiquette et mode de vie

Par Karine Audet
Bol d’air pur: étiquette et mode de vie

Ils proviennent de tous les horizons; parmi la vingtaine de fondateurs, il y a notamment une infirmière, un policier, un spécialiste en informatique, un homme d’affaires, etc.  

C’est à Dalesville qu’ils découvrent 480 acres de forêt comportant une érablière. Moyennant un dépôt initial de mille dollars par personne, ils achètent la terre où se trouvent une grange en fin de vie et une maisonnette qui ne paye pas de mine. Il ne s’agit pas d’un investissement au sens classique du terme. C’est un don à un organisme sans but lucratif (OBNL), Bol d’air pur, que l’on crée et qu’un des fondateurs, Carold Pinette, appelle un «collectif intentionnel», terme qui exclut toute idée de religiosité, de commune hippie ou de référence à une règle monastique. Ils étaient en avance sur leur temps, ces individus qui souhaitaient vivre une forme d’écologie:  la permaculture. Il s’agit d’un concept unificateur qui tient tous les éléments d’un écosystème pour interdépendants et veut satisfaire leurs besoins spécifiques afin de permettre à l’ensemble un développement optimum. Cela s’applique tout autant aux plantes, aux bêtes et aux humains.  

Le groupe se met donc à l’ouvrage: on trace une route qui sillonne le territoire, on construit des maisonnettes pour les résidents et les éventuels visiteurs ainsi qu’une maison commune qui servira de lieu de réunion, de salle de concert et de salle à manger. Un potager et quelques poules assurent une partie de la subsistance, l’érablière produit du sirop grâce à l’expérience de Carold Pinette et de son père agriculteur.  François Lussier, expert en informatique comptable, voit avec le CA qu’il préside à la bonne gouvernance.  

Les résidents payent une pension mensuelle qui leur assure le gîte, la nourriture et la participation aux activités du groupe. Il n’y a pas de règlement sinon celui de respecter les personnes et l’environnement. Chacun participe aux travaux d’entretien ou d’amélioration du territoire, parfois en alternance. C’est ainsi que chacun sera appelé à préparer les repas du soir qui se prennent en commun.  

En 2009, afin d’assurer la pérennité du lieu, on réexamine le modus operandi. On décide de commercialiser des produits à commencer par le sirop d’érable.  À l’intérieur de l’OBNL, on crée une compagnie à but lucratif qui s’occupera de la production et de la mise en marché des produits destinés à la vente. Si le collectif ou la compagnie font des profits, ils seront réintroduits dans l’OBNL. Il y a plusieurs idées sur la table, dont celle de Thierry, Alsacien pur jus, qui rêve depuis longtemps de fabriquer du vin. Comme on peut faire du vin avec à peu près n’importe quoi qui contient du sucre, Thierry propose d’utiliser le sirop d’érable comme matière première. Ses expériences seront concluantes. Bol d’air pur, le vin vient au monde dans ses deux déclinaisons: sec et doux. Le premier dont on ne peut déceler au goût les origines érablières peut accompagner fruits de mer et poissons, le second, qui rappelle l’érable avec des parfums de pomme verte est un compagnon idéal pour le fromage ou le foie gras. Les deux ont remporté des prix.  

En 2015, on remplace les équipements de la sucrerie par du matériel de pointe.  Mais Thiery ne s’arrête pas là. Qui fait du vin peut aussi faire du vinaigre, et même l’aristocrate des vinaigres, le balsamique.  Bilan: en 2022, on produit 20 000 livres de sirop d’érable, environ 5 000 bouteilles de vin, près de 900 bouteilles de vinaigre balsamique, 450 de vinaigre ordinaire, et nouveauté cette année, 388 bouteilles d’un mousseux produit selon la méthode champenoise. En parallèle à cette activité qui demande un matériel sophistiqué, le groupe se lance dans la culture de l’ail, une production peu exigeante aux rapports intéressants.   

Le 20 mai 2022, une tornade s’abat sur la région qui cause des mille et des cent de dommages. Bol d’Air pur, l’écolieu n’est pas épargné; dans l’érablière, plus de cent cinquante arbres, dont plusieurs nés au début du siècle dernier, sont brisés ou déracinés. De quoi décourager n’importe qui. Mais découragement ne fait pas partie du vocabulaire des résidents de Bol d’air pur. On fait appel à un travailleur forestier local, on achète son matériel et on transforme les arbres sinistrés en belles planches qui serviront aux futures constructions ou qui seront vendues sur le marché. Bref, grâce à sa philosophie qui place les êtres dans la nature et non pas au-dessus d’elle, la petite communauté est parvenue à transformer en bienfait ce que d’autres auraient vu comme une catastrophe.   

La communauté Bol d’air pur ne véhicule aucune idéologie. Il n’y a pas de règle sinon prendre soin de la nature et de l’humain. La bienveillance, le respect de l’environnement et le développement de la personne sont des sujets de conversation courants dans la société; il est plus rare d’en constater la mise en pratique dans la vie de tous les jours. Nos villes et villages sont des endroits bruyants où les gens s’agitent. Au dire de ses membres, Bol d’air pur se veut une oasis de silence, un écolieu consacré au ressourcement et à l’harmonie. Certes, la spiritualité y existe, mais elle ne doit rien à la religion. Plusieurs ateliers y sont offerts et sont accessibles au public. 

Un des soucis qui préoccupe le groupe, c’est le vieillissement de ses membres. D’une part, on souhaite recruter des plus jeunes afin d’assurer la relève; d’autre part, la communauté entend prendre soin des plus vieux en leur permettant de rester le plus longtemps sur place. C’est ainsi que pour permettre à Jacques Cartier, l’aîné du groupe à quatre-vingt-quatre ans, de conserver sa maisonnette et de sortir de chez lui malgré trois AVC qui l’ont hypothéqué physiquement et rendu légèrement aphasique, on lui a construit une rampe d’accès. Un des résidents s’occupe aussi de son ménage. En outre, on veut modifier la grande maison commune en y installant un monte-escalier et en emménageant des chambres afin d’éviter des déplacements à ceux dont la mobilité serait éventuellement réduite.  

Ce ne sont donc pas les projets qui manquent dans ce collectif consensuel qui fêtera bientôt ses quarante ans. Quarante années à respirer un bol d’air pur.  

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