Accueillie par deux filles radieuses et allumées de 6e année du programme alternatif L’envol du colibri, on est loin de vouloir contrôler le message. Margaux et Élizabeth sont en mission: faire découvrir cette école qui les allument tout autant que le projet d’écriture de roman policier qu’elle me présente dans la salle des machines. Pour apprendre à créer des ambiances, on y a fait un vrai montage d’une scène de crime. «On peut s’inspirer des sons et des odeurs pour notre écriture», explique Margaux Carey, une élève douée qui fait partie de la première cohorte en 2018. Avec des parents qui préconisaient l’école à la maison, le programme agit comme un juste milieu leur laissant la porte ouverte tout en lui laissant la chance de profiter de ses pairs.
Dans la classe du préscolaire, il y a une belle lumière, des murs décorés de lettres de l’alphabet tout comme dans une classe ordinaire. Seize petites abeilles aux grands yeux, dont une sur son gros ballon qui lui sert de chaise, m’accueillent avec d’énormes sourires. De grandes tables ici et là, tout comme dans les classes qui suivront. Aucun bureau n’est cordé, ils peuvent choisir leur place, selon certaines règles de base. Pour Élizabeth, qui a fait ses six premières années au régulier, choisir où elle s’assoit est tout un privilège. Pour l’équipe-école, l’autonomie et le sens des responsabilités acquis mènent à l’équilibre et au bonheur.
Le programme demeure le même qu’au régulier, mais l’apprentissage par projet et le jeu est privilégié. «C’est très exigeant pour les enseignants, mais aussi pour les parents. Les journées passent vite, il y a des tonnes d’activités et les enfants doivent être soutenus à la maison», prévient Andrée-Ann Boucher, l’enseignante au préscolaire. On y développe une compétence clé, qui servira tout au long de leur vie, soit la capacité d’adaptation. «Plus il y a de stimulis, plus ils apprennent, avance Valérie Cyr, enseignante en 1re et 2e année, qui malgré deux oiseaux en liberté dans la classe semble tout à fait saine d’esprit. C’est sûr qu’en septembre, c’est tout un projet. Mais après un mois, c’est fantastique!» Les enfants sont habitués de voir des parents ou des invités débarquer. À mon arrivée dans sa classe, les enfants ont poursuivi leur travail, comme si personne n’y était. Entre deux questions d’entrevue, elle y va d’un «Es-tu fier de toi», à celui qui lui montre son dernier travail accompli. Je suis un fantôme.
Cette légèreté, elle se ressent partout. Dans la classe de Marc-Antoine Bergeron, ancien enseignant du réputé profil bain linguistique de L’Oasis et initiateur de l’émission Scolaire le monde de la TVC d’Argenteuil, les drapeaux des pays du monde tapissent les murs. «Je me souviens de tout de ma 6e année avec Marc-Antoine et rien de ma 5e. Ça me parle énormément, souligne la nouvelle venue dans l’équipe Féelicia Baril-Lalande, qui a été l’un des cobayes de l’enseignement Bergeron dans les années 90. Pour plusieurs d’entre eux, l’apprentissage de la géographie par le jeu demeure l’un de leurs meilleurs souvenirs. Y allant de son humour, M. Bergeron explique le conflit Russie-Ukraine à sa façon, le drapeau de Poutine étant tout près de la poubelle. «On cherche un drapeau de l’Ukraine, si jamais!» Il travaille auprès des 5e et 6e années en équipe avec Charlaine Di Tullio, une jeune diplômée qui savoure son expérience. Elle s’occupe du français, lui préfère les mathématiques.
« Quand les profs proposent une activité, tout le monde embarque. Oui c’est plus de job, mais je trouve aussi que c’est plus gratifiant et positif, mentionne Marc-Antoine Bergeron. Pour les élèves aussi, c’est la même affaire. On les habitue à développer leur propre projet. Et, c’est comme dans une famille, on fait des compromis.» On dirait bien que c’est donnant-donnant ce programme. Au régulier à sa première année après sa sortie des bancs d’école, Féelicia Baril-Lalande se sentait seule avec sa classe. Elle pensait même qu’elle ne pourrait rentrer dans le moule. Accueillie dans l’équipe en septembre, elle brille de bonheur: «Tous les matins, je me lève avec le goût d’aller travailler. Ce n’est pas le chaos, les enfants savent ce qu’ils ont à faire. C’est l’autonomie multipliée par 1000! Tu sais, gérer des élèves aux pas, c’est stressant!»
Depuis 4 ans, la demande pour accéder aux classes alternatives est florissante. Et cela, même si on exige un minimum de 20 heures d’implication de la part des parents. Peut-être, surtout, parce qu’on y accueille le parent qui se sent impliqué dans le processus d’apprentissage de leur rejeton. Après avoir accueilli les enfants des parents fondateurs, des enseignants et de la fratrie, il ne reste qu’un nombre minime de places. Sûrement qu’une seule pour septembre prochain alors qu’une quinzaine de famille désirait y voir leur enfant. Bien qu’on prévoit un déménagement dans les anciens locaux du Parallèle (à côté de L’Oasis), on préfère faire preuve de prudence et demeurer petit. Cette grande famille qui compte à ce jour 7 enseignants, 125 élèves et 22 petits animaux rêve plutôt d’un projet au secondaire.