Étudier en français sans le parler: le défi des élèves allophones

Étudier en français sans le parler: le défi des élèves allophones

Les langues autant que les voix se mêlent dans les couloirs et cours de récréation des écoles francophones en milieu minoritaire, qui accueillent de plus en plus d’élèves allophones. Autrement dit, des enfants immigrants et réfugiés dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais.

«La morphologie scolaire a changé avec les mouvements migratoires successifs. Des enfants hispanophones, arabophones, sinophones et d’Afrique subsaharienne sont arrivés dans les classes», constate Carole Fleuret, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa.

«C’est variable d’une année à l’autre, mais avec les gros efforts de recrutement des dernières années, on note une augmentation», abonde Amira Khedhri, coordonnatrice des services d’accueil et d’intégration des nouveaux arrivants au District scolaire francophone Sud (DSFS), au Nouveau-Brunswick.

Sur 15 000 élèves scolarisés dans les 37 écoles du DSFS, 235 sont allophones.

«Lutter contre la fermeture des écoles»

Sur papier, ces enfants angolais, syriens, mexicains, chinois ou philippins ne devraient pourtant pas se trouver dans le système d’éducation francophone. Selon l’article 23 de la Charte canadienne des droits et des libertés, seuls les ayants droit y ont accès.

«Les conseils scolaires [francophones] n’ont pas été conçus pour remplir un tel rôle», confirme Malanga-Georges Liboy, professeur au Département des sciences de l’éducation de l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse.

«Au départ, ils avaient une mission spécifique : la préservation de la langue et de la culture française dans un milieu anglodominant», ajoute-t-il.

Mais sur le terrain, face au vieillissement de la population et à la baisse de la natalité en milieu minoritaire, les écoles se sont progressivement tournées vers cette nouvelle clientèle. La volonté affichée est claire: assurer la vitalité linguistique des communautés francophones.

«Ce sont des choix politiques. C’est une manière de lutter contre la fermeture des écoles en maintenant, voire en augmentant le volume de la population scolaire», observe Carole Fleuret.

«Nous n’acceptons pas automatiquement toutes les demandes ; on a un processus d’admission strict pour s’assurer des motivations des familles. Elles doivent être prêtes à s’engager en faveur de la Fransaskoisie», nuance Ronald Ajavon, directeur général du Conseil des écoles fransaskoises (CÉF), qui accueille quelque 2035 étudiants dans 17 établissements.

Le responsable veut éviter les inscriptions de parents uniquement motivés par la perspective de donner de meilleures opportunités professionnelles à leurs enfants.

«Ils sont de bonne foi, animés d’une réelle envie de faire de leurs enfants des Canadiens bilingues, mais ils n’ont pas conscience du manque d’accompagnement auquel ils risquent d’être confrontés», poursuit Malanga-Georges Liboy, coauteur d’un article intitulé L’école francophone en milieu minoritaire est-elle apte à intégrer les élèves immigrants et réfugiés récemment arrivés au pays?

Prendre en compte les parcours migratoires traumatisants   

Dans ces conditions, les écoles ont-elles les moyens d’accompagner les élèves allophones, de leur apprendre la langue et la culture grâce auxquelles ils pourront se bâtir un avenir dans leur communauté d’adoption?

Il existe diverses formules de francisation intensive à travers le pays, dont le programme d’Actualisation linguistique en français offert depuis 2004 en Ontario. Au Nouveau-Brunswick et en Saskatchewan, les élèves allophones bénéficient également de cours sur mesure, en tutorat ou par petits groupes. Le CÉF propose par ailleurs des cours de français aux parents.

Cependant, aux yeux de Malanga-Georges Liboy et de Carole Fleuret, les établissements scolaires ont encore des efforts à faire. Au-delà de la barrière linguistique, «les ressources dédiées à la prise en charge des élèves allophones sont inadaptées, voire insuffisantes», estime Carole Fleuret.

«Leurs besoins spécifiques ne sont pas suffisamment pris en compte alors qu’ils passent par un choc culturel à leur arrivée, qu’ils ont parfois vécu des traumatismes en zone de guerre», ajoute Malanga-Georges Liboy.

Il souligne également une mauvaise circulation de l’information. D’un côté, les familles ne connaissent pas bien le fonctionnement et les attentes du système scolaire canadien – le besoin de participer aux devoirs, aux activités et aux réunions avec le corps professoral. De l’autre, les enseignants ne sont pas suffisamment informés des trajectoires migratoires des enfants.

Manque de formation interculturelle 

Les deux universitaires plaident ainsi pour la mise sur pied de centres d’aide aux devoirs et de classes d’accueil à destination des jeunes qui ont été déscolarisés pendant plusieurs années. Ils défendent la création de postes d’interprètes et d’agents de liaison afin de maintenir le contact avec les parents.

Parmi les autres écueils de l’intégration, les deux chercheurs pointent le manque de formation interculturelle des enseignants. De fait, ces derniers n’ont pas toujours les clés pour gérer des classes riches d’une grande diversité ethnoculturelle, avec des écarts de niveaux importants.

«Il reste beaucoup à faire, mais la volonté de s’adapter et de comprendre la culture des immigrants est là. On veut favoriser les échanges et le rapprochement interculturel», réagit Ronald Ajavon du CÉF.

Au Nouveau-Brunswick, le DSFS a ainsi embauché sept travailleurs d’établissement plurilingues dans le cadre d’une entente conclue avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Chargés d’accompagner les familles nouvellement arrivées ainsi que le personnel enseignant, ils facilitent les liens entre les milieux scolaire et familial. Des formations sur la diversité sont aussi dispensées à tous les nouveaux employés.

Une pédagogie fondée sur les cultures d’origine

Carole Fleuret regrette pour sa part que les cultures des pays d’origine soient encore trop souvent «folklorisées», notamment à travers des évènements ponctuels dédiés à la diversité : «En se limitant à un jour ou une semaine par an, on n’inclut pas les élèves allophones, on met plutôt l’accent sur leurs différences alors qu’il faut au contraire créer une culture commune.»

La chercheuse insiste sur le besoin de repenser la pédagogie en s’appuyant sur les cultures d’origine des étudiants, en prenant appui sur leurs registres langagiers pour leur apprendre le français. «Il faut relégitimer leur langue maternelle, ça les valorise, ça évite des tensions entre l’école et la maison et c’est bénéfique à leur réussite scolaire», insiste-t-elle.

Surtout, la professeure de l’Université d’Ottawa assure que les élèves allophones développeront un sentiment d’appartenance plus profond et contribueront de manière plus durable aux communautés francophones si l’on reconnait pleinement leur langue et leur identité. «Ils ramèneront la culture à la maison, leur famille vivra en français», renchérit Amira Khedhri du DSFS.

Le chemin à parcourir reste long et des résistances au changement persistent. «La peur d’être assimilé, de voir les écoles disparaitre est tellement forte, transmise de génération en génération, que l’accent est uniquement mis sur l’identité franco-canadienne», analyse Carole Fleuret.

Elle déplore une vision «ethnocentrée et étriquée», qui ne correspond plus à la réalité de la francophonie actuelle, «plurielle et hétérogène».

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