Bilinguisme des hauts postes fédéraux: «Ce gouvernement dit une chose et fait autre chose»

Bilinguisme des hauts postes fédéraux: «Ce gouvernement dit une chose et fait autre chose»

Claude Carignan n’est «pas surpris» que les 1 300 plaintes reçues par le Commissariat aux langues officielles (CLO) suivant la nomination de la gouverneure générale Mary May Simon soient jugées non fondées dans le rapport d’enquête préliminaire du commissaire aux langues officielles.

«Le premier ministre n’est pas techniquement assujetti directement à la Loi sur les langues officielles, il n’est pas une institution dans la Loi», justifie-t-il.

«Ça démontre toute l’importance de mon projet de loi pour qu’on puisse assujettir les personnes qualifiées au bilinguisme, avant que le dossier se rende au bureau du premier ministre et que ça aille au Conseil privé!» poursuit le sénateur.

Le projet de loi S-220 vient ajouter, dans la liste des fonctions ciblées dans la Loi sur les compétences linguistiques, le poste de gouverneur général. La personne qui l’occupera devra donc démontrer des compétences claires dans les deux langues officielles du pays.

 «La pierre […] je la lance au premier ministre Trudeau»

«Avec la diminution du nombre de francophones et de personnes qui parlent français à la maison [et considérant] l’importance d’avoir une augmentation de l’immigration francophone, ce poste représente la Reine, mais aussi l’identité canadienne. Si [la gouverneure générale] est unilingue anglophone, ça lance le message à l’étranger que le Canada est un pays unilingue anglophone», déplore encore Claude Carignan.

Le sénateur acadien indépendant René Cormier, qui était président du Comité permanent sur les langues officielles avant les élections fédérales de 2021, soutient que «la conversation ne remet pas en question les compétences de Mme Simon. Il est tout à fait compréhensible pour le gouvernement, dans un contexte de réconciliation, de vouloir offrir cette place à [une personne] d’un des peuples autochtones. Elle parle l’inuktitut, ce qui est tout à son honneur et qui contribue au principe de la réconciliation au Canada».

Il rejoint toutefois le sénateur Carignan sur le fait que la gouverneure générale, qui représente le Canada, doive parler les deux langues officielles.

En 2013, la députée québécoise du NPD Alexandrine Latendresse avait déposé le projet de loi C-419 pour obliger certains hauts fonctionnaires du Parlement, comme le vérificateur général, à être absolument bilingues. Ce projet de loi avait été introduit en réaction à la nomination de Michael Ferguson au poste de vérificateur général. Il était unilingue anglophone au moment de sa nomination à ce poste. 

«À ce moment, on était loin d’imaginer qu’un premier ministre du Canada oserait nommer une gouverneure générale qui ne peut pas s’adresser en anglais et en français aux Canadiens. C’est pour ça qu’on ne l’a pas inclus dans ce processus», assure Claude Carignan.

Il poursuit: «Je salue l’effort [du français employé par la gouverneure générale lors du discours du Trône du 23 novembre dernier], mais comme francophone, quand la gouverneure générale s’adresse à moi comme Canadien, je ne m’attends pas à ce qu’elle fasse des efforts pour me parler. Je m’attends à ce qu’elle me parle dans ma langue.»

«La pierre, je ne la lance pas à la gouverneure générale qui a fait des efforts; je la lance au premier ministre Trudeau, qui a recommandé sa nomination à la Reine», tient-il à rappeler.

Selon le sénateur, la promesse d’apprendre le français lorsqu’une personne accède à de hautes fonctions ne suffit pas.

Les langues officielles, pas avant Noël

Le gouvernement a quatre projets de loi prioritaires à faire adopter avant la fermeture du Parlement pour les fêtes de fin d’année, le 17 décembre. La modernisation de la Loi sur les langues officielles (LLO) n’en fait pas partie.

Pour Claude Carignan, «ça démontre que ce gouvernement dit une chose et fait autre chose».

«Pendant six ans, ils nous ont dit qu’ils étaient pour déposer un projet de loi pour la modernisation des langues officielles. Il y a eu de la consultation, on a fait des commentaires et ils sont arrivés avec un projet de loi déposé à la veille des élections. On savait que ce projet allait mourir au feuilleton. Après les élections, j’ose croire que le projet de loi n’est pas tombé dans la déchiqueteuse!» vitupère le sénateur conservateur.

Le sénateur René Cormier se montre plus conciliant, insistant sur le fait que «l’important est que le projet de loi soit déposé le plus rapidement possible et que ça puisse cheminer tant à la Chambre des Communes qu’au Sénat».

Pour lui, «il y a une notion de rattrapage et d’égalité réelle ici, et tant que cette nouvelle loi n’est pas mise en œuvre les défis démographiques s’accentuent. C’est très urgent que cette loi soit débattue et adoptée rapidement».

L’accès à la formation aux langues officielles au sein du gouvernement

La nomination de Mary Simon soulève aussi, pour René Cormier, le fait que «le gouvernement a des obligations en matière linguistique pour les citoyens canadiens et canadiennes qui travaillent [au sein de l’appareil gouvernemental]».

Si la LLO est révisée adéquatement et «a plus de mordant, elle va peut-être aider à assurer qu’à l’intérieur de l’appareil fédéral gouvernemental, les fonctionnaires puissent travailler dans la langue de leur choix, mais aussi avoir accès à la formation linguistique qui leur permette d’accéder à la haute fonction de l’État comme celle de Mme Simon. Ces lacunes sont identifiées depuis longtemps».

René Cormier fait notamment référence au rapport réalisé en 2019 par le Comité sénatorial sur les langues officielles, dont il était alors le président. Le Comiété avait recommandé le renforcement des pouvoirs aux langues officielles et suggéré la création d’une agence centrale dotée de mécanismes nécessaires à une réelle force de mise en œuvre.

«Les recommandations et les amendements proposés par la FCFA sont alignés avec ce rapport», assure encore le sénateur Cormier, qui rappelle que la ministre des Langues officielles de l’époque, Mélanie Joly, en a pris certains en compte.

«Il reste encore du travail. Maintenant, y a-t-il de la place pour apporter des amendements au projet de loi? Ce sera l’enjeu des discussions avec la nouvelle ministre et le Comité sénatorial des langues officielles. Ce comité devra regarder ce nouveau projet de loi et voir comment la ministre tient compte de ces amendements.»

René Cormier, qui souhaite «ardemment» que le Comité sénatorial sur les langues officielles soit mis en place avant Noël, a préféré ne pas indiquer s’il se présentera à nouveau à la présidence de ce comité.

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