Madame l’épicière

Madame l’épicière

Celle qui parle, c’est Suzanne Albert propriétaire depuis 2013 du Marché IGA de Lachute. Est-elle de Lachute? Non. Qu’est-ce qui l’attire à Lachute? Le magasin. Mme Albert commence comme emballeuse de viande dans une salaison de Montréal, un travail d’été qu’elle conserve après ses études et qu’elle quittera pour une grande bannière où les possibilités de promotion sont plus nombreuses. 

Dans le commerce alimentaire tout le monde se connaît plus ou moins si bien qu’elle passe facilement d’une bannière à l’autre. Parvenue au poste de directrice adjointe après 28 ans chez Provigo, son patron lui demande si elle a l’intention de rester là toute sa vie. Il la persuade qu’elle peut aller encore plus loin. Plus loin, ça signifie devenir sa propre patronne. Perspective d’autant plus intéressante que Suzanne Albert est une fonceuse dont le franc-parler ne l’a pas toujours servi. «Ça ne m’a peut-être pas nui, mais ça m’a ralenti dans mon avancement. Et puis, c’est un monde de gars!» Nous y reviendrons.  

En 2013, il y a donc un magasin IGA à vendre. «J’ai toujours dit à mes enfants, tu as envie de quelque chose? Fonce, vas-y. Essaie! Si ça ne fonctionne pas, tu pourras toujours reculer dans trois mois ou dans un an, mais au moins tente ta chance.» Alors, mettant en pratique ce qu’elle prêche, elle fait le saut. Comme elle le dit elle-même, il fallait un front de bœuf parce que ce n’est pas simple acheter une franchise IGA. Elle ne l’a jamais regretté; huit ans plus tard, l’aventure continue.  

Devenir propriétaire, c’est une chose. Se faire adopter par les Lachutois, c’en est une autre. Suzanne Albert s’est donc impliquée dans la communauté. D’abord à travers la Chambre de commerce et d’industrie d’Argenteuil (CCIA) à titre d’administrateur, puis comme bénévole au Centre d’entraide d’Argenteuil et dans Les bons déjeuners d’Argenteuil. Mère de quatre enfants, l’avenir des jeunes lui tient à cœur. Elle les encourage à devenir le plus autonomes possible bien que leurs parents ont de plus en plus tendance à les couver. Sensible au développement de ceux qui éprouvent des difficultés d’apprentissage, elle offre aux élèves de la Polyvalente Lavigne de même qu’au Centre Florès des stages qui dans de nombreux cas ont débouché sur des emplois permanents.  

Suzanne Albert a récemment été élue à la présidence de la CCIA qu’elle avait déjà quitté parce que les crêpages de chignon y étaient plus fréquents que les réalisations. Son objectif, rendre accessible à tous un répertoire des services et productions disponibles dans Argenteuil afin d’aider les gens d’affaires à consommer local plutôt que se tourner vers l’extérieur; elle veut en outre aider les jeunes entreprises à démarrer et les plus anciennes à se consolider.  

Pour sa part, si son établissement est tenu d’acheter annuellement 90% de ses produits auprès des entrepôts de Sobey’s , il reste un 10% qu’elle peut consacrer à l’achat local. L’été, cela représente parfois 30% à 40% de certaines denrées. Le problème, c’est que parfois les producteurs craignent de s’associer à un gros distributeur de peur de ne pouvoir satisfaire à la demande. Une crainte injustifiée, répond Mme Albert, qui n’impose de quota à personne. «Je souhaite que les producteurs nous fassent signe et qu’ils nous proposent leurs produits.»  

La conversation s’engage sur la pandémie. Comment faire autrement. L’alimentation étant un service essentiel, les marchés sont évidemment demeurés ouverts. Au début, pendant quatre mois, les ventes ont augmenté de 50%. Mais les livraisons à domicile beaucoup plus. «De 50 par semaine, on est passé à 500. Or le Marché Albert n’a qu’un seul camion.» La propriétaire a pu alors mesurer la signification du mot solidarité: des commerçants sont venus offrir des véhicules pour livrer des commandes. Et durant la fameuse pénurie de papier de toilette, les cadres de Cascade ont prêté main forte. «Je pense qu’on n’aurait jamais pu réaliser ça à Montréal. Un avantage des régions: tout le monde connaît tout le monde et on s’entraide».  

On s’entraide, mais quand on est une femme dans un monde d’homme, il faut faire sa place. «Ça prend des couilles, dit Suzanne Albert en riant. Il faut croire à ce que l’on fait.» Son caractère de fonceuse l’a aidé à ce chapitre. Elle estime toutefois que les femmes ont plus d’empathie pour leurs employés que les hommes. Elle est sensible au bien-être de ses quelque 90 employés et leur satisfaction est importante pour elle. «S’ils ne sont pas heureux ici, ils vont aller travailler ailleurs et par les temps qui courent, c’est une chose qu’aucun employeur ne peut se permettre.» 

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