C’était il y a longtemps, à l’époque nous étions quelque chose comme un peuple, du moins nous avions encore l’espoir. Dans ce temps-là, la Saint-Jean du petit baptiste, on la fêtait au parc Richelieu. C’était l’effervescence, la papeterie Price Wilson du bon vieux James Crockett Wilson roulait à plein régime, le pied dans la «pan». La scierie Lachute Lumber faisait des affaires d’or, même que les vieux du p’tit Canada racontent que les scies roulaient 26h sur 24h, 390 jours par année. Tant et tellement qu’avec le bran de scie, on aurait pu refaire le désert du Sahara au grand complet, mais cette fois sur la côte de sable. Il y avait Thundercraft, la grande fierté de notre ville et quand tu travaillais à temps plein chez Thunder, tu étais certain d’avoir ton pick-up dans l’année!
Ça roulait tellement à Lachute dans le temps qu’on avait deux Perrette sur la rue principale. Rien de trop beau pour la classe ouvrière. La ville avait même fait installer une glissade de l’enfer en ciment au cœur du mythique parc Richelieu. L’avenir était devant nous, nous étions en pleine expansion, même que la compagnie Coca-Cola embouteillait chez nous son précieux sirop sur la rue Lafleur. Sir John Johnson avait visé juste finalement en achetant les terres du Comté d’Argenteuil. Lachute était le Klondike en quelque sorte. On avait un Rossy deux étages ce qui prouve hors de tout doute que nous étions devenus le nec plus ultra des petites villes à l’est des Laurentides. Même que le géant Steinberg était bien installé dans notre centre d’achat. Aucune mère ne faisait son épicerie, les mamans de Lachute allaient faire leur Steinberg! Dans mon souvenir, il était immense, je crois que dans le temps il prenait à lui seul la moitié du centre d’achat. Nous étions presque à toucher le grandiose.
Chaque année la Saint-Jean était un moment de réflexion, un moment pour regarder l’avenir droit dans les yeux, se faire un rappel de notre projet de société… Ça, évidemment que c’est seulement dans mon imaginaire, mais c’est ce que j’espère pour nous.
Revenons à l’époque, je me rappelle de ses fêtes en couleur… Un feu immense qui prend la moitié du Richelieu aux abords de la rivière du nord de mon enfance. Un feu d’artifice dans mes yeux de p’tit bec sale de la rue Filion jamais égalé! Le monde, le peuple de Lachute qui se tient bras dessus et bras dessous dans une belle harmonie au son d’Offenbach. J’ai encore l’écho de Gerry Boulet dans mes oreilles en trame de fond. Avec sa voix porteuse d’espoir, il nous chantait à nous, le petit monde de Lachute, l’hymne à l’amour d’Édith Piaf. Si tu me le demandais – Je renierais ma patrie – Je renierais mes amis – Si tu me le demandais…
En chœur, ensemble, nous n’étions qu’un ce soir-là! Pas de pauvres, pas de riches, pas de classes sociales, pas de pointage de doigt, personne qui casse du sucre sur le dos des autres, pas de bavassage, pas de commérage. Même que mes chums anglais célébraient avec nous. On savait trop bien que nous étions sur le même bateau que celui d’Arthur Rimbaud. Un bateau à la dérive, malgré nous.
Dans notre coin de pays reculé, nous sommes en quelque sorte maudits des uns pis des autres. Au milieu de nulle part entre les montagnes pis la garnotte, on s’est bâti notre forme de paradis…Une chose dans la vie a sorti le Barbu de ville de Lachute, mais Lachute ne va jamais sortir du Barbu de ville. Assis sur ma caisse de 24, j’ai encore l’espoir à fleur de peau et je regarde ma ville avec admiration qui se réinvente à travers notre belle jeunesse. Je lève mon verre en l’honneur de celui qui se bat le nez cassé (Denis Vanier)