Au début mars, la ministre ontarienne des Industries du patrimoine, du sport, du tourisme et de la culture, Lisa MacLeod, a annoncé une injection supplémentaire de 25 millions $ destinée au secteur des arts.
De cette somme, 24 millions $ ont été distribués à 140 organismes via le Conseil des arts de l’Ontario (CAO), dont seulement 321 059 $ à des organismes francophones d’après les calculs de Francopresse.
Le critère principal d’admissibilité des organismes à 14 des 25 millions $ : avoir des revenus annuels d’au moins un million $.
Seuls quatre organismes francophones ont reçu du financement de cette enveloppe du gouvernement ontarien : le Carrefour francophone de Sudbury (34 459 $), La Nouvelle Scène Gilles Desjardins (103 068 $), le Mouvement d’implication francophone d’Orléans (15 518 $) et le Théâtre français de Toronto (168 014 $).
Une autre portion de 10 millions $ est destinée aux organismes qui reçoivent une subvention de fonctionnement du programme Organismes majeurs du CAO.
Enfin, un million $ est prévu pour les artistes individuels de l’Ontario, mais les détails concernant ce financement n’ont toujours pas été annoncés.
«Ça a soulevé des attentes»
«On est évidemment bien contents pour ces quatre [organismes récipiendaires], mais on aurait aimé que le ministère fasse preuve de plus de transparence», résume le coordonnateur de l’Alliance culturelle de l’Ontario (ACO), Denis Bertrand.
«Si le ministère avait décidé d’injecter lui-même les 25 millions $, ce serait une chose. […] Mais en passant par le Conseil des arts de l’Ontario, ça a soulevé des attentes par rapport au fonctionnement normal du CAO», souligne encore Denis Bertrand.
Il explique qu’habituellement, lorsque le gouvernement a des fonds à attribuer, le CAO lance un appel d’offres et invite les intéressés à soumettre des propositions de projets, à la suite de quoi ils sont évalués par un jury. «On s’attendait à un processus similaire pour les 25 millions $. Ça n’a pas été le cas», fait remarquer le coordonnateur de l’ACO.
Les 25 millions $ supplémentaires ont été annoncés pour la toute première fois dans le budget de l’Ontario de 2020, en novembre dernier. Ce qui a surpris lors de l’annonce du 2 mars, c’est donc la décision vraisemblablement unilatérale du gouvernement de distribuer les fonds.
«Les montants du financement [octroyé aux organismes] ont été déterminés à l’aide d’une formule basée sur le niveau de la [plus récente] subvention de fonctionnement du CAO reçue par l’organisme. Cette approche permettra de débloquer les fonds en temps opportun et de manière transparente», indique par courriel la responsable des relations avec les médias du ministère, Denelle Balfour.
Dans une infolettre envoyée le 2 mars, le CAO indique également que «le montant des paiements versés aux organismes sera déterminé en fonction d’un pourcentage de leur plus récente subvention de fonctionnement du Conseil des arts de l’Ontario».
Le CAO et le ministère des Industries du patrimoine, du sport, du tourisme et de la culture ont refusé les demandes d’entrevue de Francopresse.
Une «énorme surprise»
Ghislain Caron, directeur général du Théâtre français de Toronto (TfT) indique avoir appris la nouvelle «comme tout le monde», lors de l’annonce de la ministre MacLeod.
«On était très contents! […] C’était une énorme surprise et une belle surprise», ajoute le directeur de l’un des quatre organismes francophones récipiendaires.
Le TfT aura jusqu’au 31 mars 2023 pour dépenser les fonds. D’après le directeur, cela leur «donnera un bon coup de pouce» et leur permettra de planifier la relance sans tomber dans le rouge et sans avoir à couper de projets artistiques.
«Ça va vraiment nous servir à nous relancer en salle et à créer nos projets artistiques l’an prochain, et probablement une partie en 2022-2023. […] Sans ce revenu-là, je pense qu’on aurait été obligés de faire des choix, on aurait dû couper», indique Ghislain Caron.
Il nuance toutefois : «Par contre, on appuie vraiment que le gouvernement de l’Ontario devrait soutenir aussi les organismes qui ont des [revenus] de moins d’un million. […] Il y a beaucoup plus de théâtres qui ont des [revenus] de plus d’un million du côté anglophone que francophone.»
À cet effet, l’Alliance culturelle de l’Ontario a envoyé une lettre à la ministre MacLeod pour lui exposer ses doléances et lui demander de renouveler cette enveloppe de 25 millions $ au CAO pour les deux prochains exercices financiers.
«Mais que cette fois-ci, l’argent soit géré par le CAO en fonction des principes et des processus en place, ce qui permettrait à un plus grand nombre d’organismes de soumettre des propositions», souligne Denis Bertrand.
L’organisme n’avait toujours pas obtenu de réponse au moment d’écrire ces lignes.
Les francophones désavantagés
«On comprend pourquoi le ministère a décidé de favoriser ces organismes-là [qui ont des revenus de plus d’un million] : ils ont déjà un budget important et sans doute, dans la perspective du ministère, ils étaient plus aptes à une relance rapide […] donc à générer une activité économique plus rapidement. Je pense que c’est vraiment la logique derrière ça», évalue Denis Bertrand de l’ACO.
«C’est comme la vertu, on ne peut pas s’opposer à ça! C’est juste qu’on aurait aimé que le processus soit plus transparent», ajoute-t-il.
Une hypothèse qui résonne chez Martin Arseneau, directeur général de Réseau Ontario : «C’est probablement une stratégie voulant que ceux qui ont les plus gros budgets ont eu les plus grosses pertes», estime-t-il.
«Mais ce n’est pas une philosophie avec laquelle on est d’accord ; tout le monde a des pertes. Que tu aies un budget de 100 000 $ ou d’un million, il y a une partie des revenus qui ont disparu à cause de la pandémie. Mais [cette logique vise] probablement à essayer de conserver les gros organismes de manière à leur permettre de se solidifier pour traverser cette pandémie-là», suggère Martin Arseneau.
Réseau Ontario compte parmi ses membres 22 diffuseurs pluridisciplinaires, dont quatre ayant obtenu une portion des 25 millions $ du gouvernement ontarien. Martin Arseneau indique toutefois n’avoir pas vraiment ressenti de frustration chez ses membres n’ayant pas reçu de part du gâteau.
«En bout de ligne, les organismes membres de Réseau Ontario vont toujours recevoir leurs subventions de fonctionnement et de projets. [L’enveloppe supplémentaire] est un peu venue comme un bonus», nuance-t-il.
Il convient toutefois que les organismes francophones en milieu minoritaire ont pu être désavantagés par rapport à leurs homologues anglophones, de par leur plus petite taille : «C’est sûr que nos budgets de fonctionnement ne seront pas exactement les mêmes, donc en utilisant une formule qui requiert des revenus annuels égaux ou supérieurs à un million $, ça a fait en sorte qu’énormément d’organismes francophones ont été exclus de cette distribution de fonds supplémentaires.»
Le CAO simple administrateur
Au Conseil des arts de Hearst (CAH), la directrice générale et artistique Valérie Picard indique par courriel avoir été heureuse de voir le gouvernement reconnaitre les besoins du milieu et débloquer des fonds additionnels pour le secteur artistique, mais se dit aussi «déçue et frustrée face aux critères d’admissibilité».
«Le profil des organismes qui ont reçu des fonds ne respecte pas toutes les priorités de financement du CAO, surtout au niveau de la francophonie, et les organismes en région. Tous les organismes font face à une précarité financière importante, nonobstant le chiffre de notre budget de fonctionnement annuel», ajoute-t-elle.
Au CAO, la coordonnatrice principale des communications, Shoshana Wasser, souligne que «c’est le ministère qui a déterminé les catégories de ce cadre de financement» et que leur rôle n’a été que d’administrer les fonds.
Quant au million réservé aux artistes, le ministère indique que «de plus amples informations seront bientôt disponibles sur le site Web du Conseil des arts de l’Ontario» tandis que ce dernier dit n’avoir toujours pas reçu d’information à ce sujet.