Le rôle de l’école s’est longtemps cantonné à la transmission verticale de savoirs académiques. L’image de l’enseignant dispensant son cours devant des rangées d’enfants silencieux est désormais loin derrière nous. Les nouvelles méthodes pédagogiques font la part belle aux projets initiés par les élèves, à l’expérimentation et au travail d’équipe.
Mettre l’élève au cœur de ses apprentissages
Jusqu’ici focalisé sur l’absorption et le contrôle des connaissances, l’enseignement s’oriente vers le développement de compétences.
Au cours des trois dernières années, l’école Le Mascaret, à Moncton, l’école Grande-Rivière, à Saint-Léonard, et l’école Le Tremplin, à Tracadie, ont reçu le mandat d’imaginer ce changement d’approche et de l’adopter au quotidien.
À l’école Le Mascaret, l’apprentissage par projets est devenu la norme, décrit le directeur de l’établissement, Serge Boucher.
«On parle de tâches authentiques, de situations complexes qui amènent l’élève à se poser des questions et à trouver des solutions. Ça peut commencer par la présentation du thème de la pollution par l’enseignement et déboucher sur la mise en œuvre par les élèves d’un système de recyclage dans l’école. Un élève intéressé par l’audiovisuel pourra produire une vidéo de sensibilisation, un autre passionné par le bricolage pourra décider de construire quelque chose…»
Projets concrets
À l’école Le Tremplin, on propose de plus en plus aux jeunes de transposer la matière en projets concrets et de travailler de manière relativement autonome sur la résolution de problèmes qu’ils ont identifiés dans leur communauté.
Yannick, élève de 7e année, tente ainsi de créer des pancartes qui seront installées sur la piste cyclable de Tracadie pour inciter les promeneurs sur deux roues à porter le casque. À travers sa démarche, il découvre la conception graphique et apprend à solliciter des commanditaires.
Justin, lui, a rédigé avec d’autres camarades une lettre à la municipalité proposant l’installation de jeux d’eau sur son territoire. Leur requête est remontée jusqu’aux conseillers qui ont échangé sur la question lors d’une réunion publique. «Ils vont y penser à l’avenir, peut-être que ça va marcher», espère l’adolescent.
«Toutes les idées n’aboutissent pas, mais sans qu’il s’en aperçoive, l’élève a travaillé l’écriture, la communication, il s’est initié au fonctionnement d’un conseil municipal», note Jérôme Roy, l’un des enseignants.
Ici, un groupe a décidé d’apprendre à faire fonctionner une imprimante 3D pour la conception de cabanes à oiseaux. Là, une équipe de journalistes en herbe s’est attelée à la conception d’un journal étudiant.
«Il peut y avoir 20 projets différents dans une même classe. Ce qui est intéressant, c’est que tout part des élèves, de leurs intérêts, de leurs envies», souligne Denise McWilliams.
L’enseignante de 7e année est convaincue qu’en participant à la conception de produits et à la prise de décisions, les jeunes se préparent mieux à faire un choix de carrière et apprennent à mieux se connaitre.
«Certains élèves qui ne se démarquaient pas lors de cours magistraux démontrent des qualités qu’on n’aurait pas vues autrement», observe également la directrice de l’école, Cynthia St-Cœur.
De conférencier à facilitateur, le métier d’enseignant se transforme
À l’heure du bilan, Serge Boucher constate que ce virage a sollicité une plus grande collaboration entre les enseignants et favorisé l’interdisciplinarité. À ses yeux, l’expérimentation est le meilleur moyen d’incarner une connaissance et de susciter l’engagement.
«On voulait que les élèves arrêtent de se demander “Pourquoi fait-on ceci?”. L’idée, c’est qu’ils entrent en action et puissent construire eux-mêmes leurs apprentissages en faisant ce qu’ils aiment. On voit une plus grande motivation chez les élèves parce qu’on essaie de donner à chacun la chance de toucher à ses intérêts et de démontrer ses forces.»
Plutôt que de suivre un programme figé, défini, les enseignants sont amenés à accompagner les initiatives des élèves et à partir de leurs questionnements. Faire preuve de souplesse et garder l’esprit ouvert sont les nouveaux mots d’ordre.
«À la place d’être celui qui transmet la matière, l’enseignant devient plutôt un guide, résume Jérôme Roy. Ce n’est pas toujours évident parce que nous avons été formés à être ceux qui transmettent un savoir en avant de la classe. Il faut maintenant partager ce pouvoir et donner le choix à l’élève.»
«Un changement en profondeur»
«Je ne crois pas que nos enfants soient capables de rester assis des heures et des heures. Nos enfants sont des créateurs, ils ont besoin de se servir de leur tête et de leurs mains pour résoudre des problèmes et apporter des solutions aux défis de notre monde!»
Comme tant d’acteurs du monde de l’éducation, Ginette Duguay estime qu’il est plus que jamais nécessaire que nous nous demandions collectivement quelle école nous voulons pour nos enfants.
À quelques mois de son départ à la retraite, la mentore en littératie au District scolaire francophone Nord-Est se félicite de voir un nouveau paradigme s’ancrer dans les pratiques éducatives.
«L’enseignement par compétences est un changement en profondeur du système», s’enthousiasme-t-elle.
En résumé, l’idée est de confronter l’élève à une situation complexe qui part d’un questionnement, d’un enjeu ou d’un défi vécu. Pour la résoudre, ce dernier peut être amené à explorer différents usages de la technologie, intégrer la créativité et l’innovation dans ses essais, faire appel à des experts, collaborer avec ses pairs, analyser l’information et vérifier les sources…
«Nous allons continuer à enseigner le français et les mathématiques, mais nous allons peut-être contextualiser davantage la matière, expose Ginette Duguay. Les enfants veulent écrire sur les choses qui les intéressent, ça fait toute la différence. Notre rôle, c’est de trouver ce qui les allume.»
Proposer aux apprenants d’expérimenter et de travailler sur des problèmes réels, les incite à explorer le monde et ses possibilités, complète Viktor Freiman, professeur à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Moncton.
«On cherche à rebâtir la confiance des jeunes en leurs capacités en stimulant leur créativité, décrit-il. Parfois, on a l’impression qu’ils jouent, mais c’est lorsqu’ils créent des prototypes qu’ils évoluent et développent des capacités de raisonnement.»
En tout cas, les enseignants prêts à secouer les habitudes ne manquent pas et leurs classes bouillonnent d’idées. Mario Levesque, agent de développement technologique pour l’organisme Place aux compétences, a pour mission de donner vie à leurs ambitieux projets de programmation informatique, de robotique ou d’impression 3D.
Il accompagne actuellement un groupe de 9e année de l’école secondaire Mathieu-Martin de Dieppe dans la construction de quatre chambres d’évasion aux allures de vaisseau spatial.
«Je leur ai présenté l’utilisation du microcontrôleur, ses possibilités, mais toutes les idées viennent d’eux. Ils font leurs propres recherches et s’occupent d’élaborer leurs énigmes et leur histoire, explique Mario Levesque. À travers cela, ils sont en train de découvrir le travail manuel du bois, l’électronique, la programmation, et devront peut-être faire une campagne de markéting pour promouvoir leur initiative.»
Bientôt, il assistera la classe de Michaël Gautreau, enseignant à l’école Carrefour de l’Acadie de Dieppe, dans la conception de panneaux lumineux modulaires intelligents (Nanoleafs) pour donner une nouvelle ambiance à leur environnement de travail.
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Le chantier de l’évaluation
Comment mesurer objectivement la créativité, les compétences interpersonnelles, le travail d’équipe ou une meilleure connaissance de soi?
Adopter l’approche par compétences force à repenser la vérification des acquis, reconnait Cynthia St-Cœur, directrice de l’école Le Tremplin. Il s’agit d’amener le jeune à réfléchir sur ses expériences, ses actions, ses attitudes, ses erreurs et ses succès.
«On demande davantage aux élèves d’autoévaluer leur cheminement, de réfléchir sur ce qui a été appris», dit-elle.
Selon le professeur Viktor Freiman, cette nouvelle façon d’aborder l’éducation implique de soutenir plutôt que de sanctionner, et surtout de reconnaitre le processus comme un acquis sans se focaliser sur uniquement sur le résultat.
«Est-ce qu’on évalue si tel problème mathématique a été bien résolu ou est-ce qu’on évalue si l’élève s’est confronté à un problème nouveau et qu’il a cherché à l’aborder par des propositions originales et a appris de nouvelles choses au passage? Parfois il n’y a pas de bonne réponse à un problème, parfois on essaie beaucoup de choses sans arriver à un résultat», souligne l’universitaire.
«On doit bâtir à partir des réussites, et non certifier des échecs. Cette pédagogie-là demandera un autre système d’évaluation, c’est certain. On entre sur un terrain inconnu, il faudra accepter que ça ne se passe pas comme auparavant.»
Soigner la plante pour qu’elle s’épanouisse
La crise sanitaire a forcé l’école à évoluer à une vitesse jamais vue et à revoir ses priorités. «La pandémie est aussi venue nous dire qu’il faut intervenir au niveau du mieux-être. Nous voyons un taux énorme de problèmes de santé mentale qu’il faut gérer», constate Ginette Duguay.
«Est-ce que nous formons nos enfants dans toutes les sphères de leur développement? Ou est-ce que le développement cognitif est la sphère développementale la plus valorisée? Je crois qu’il faut réussir à faire l’équilibre entre les connaissances, le savoir-faire et le savoir-être.»
Apprendre aux enfants l’importance de prendre soin de leur santé mentale et de celle des autres, d’entretenir des relations saines, voilà notamment ce que tente de transmettre l’école Le Domaine Étudiant de Petit-Rocher à ses élèves de 8e année.
Ils participeront à huit ateliers offerts par le Centre Mieux-Être de Bathurst sur les thèmes de la résilience, de la gestion des émotions, de la pression sociale, du consentement, de la l’estime de soi ou des habitudes de vie saine.
Le ministère de l’Éducation s’était déjà engagé dans cette voie en inscrivant à son Profil de sortie l’idée que l’école doit aider le jeune à «mener une vie équilibrée», favoriser «la connaissance de soi» ou encore de l’amener à «prendre conscience des autres, de leurs besoins et de leurs sentiments».
C’est aussi ce que faisait valoir Amélie Bédard, professionnelle à l’inclusion scolaire, dans une récente chronique pour le site École branchée.
«En prenant soin du cœur de nos élèves, en nourrissant leur sécurité affective, nous les rendons disponibles à l’apprentissage, et leur donnons la chance d’exploiter leur cerveau à sa pleine capacité», écrit-elle.
«Si je devais recommencer ma carrière, ça m’interpellerait, assure Ginette Duguay. Si j’ai embarqué dans le système d’éducation il y a 35 ans, c’est parce que je voulais changer le monde.»
Comment préparer la jeunesse à des emplois qui n’existent pas encore?
Notre société se transforme bien plus vite que le système éducatif et il devient difficile de prédire quels seront les métiers de demain. C’est à partir de ce constat qu’est né le projet S’entr’Apprendre.
Mené par le District scolaire francophone Sud, il a pour ambition d’aider les élèves à évoluer dans un monde en constante mutation et d’insuffler une nouvelle culture d’apprentissage dans les écoles.
Mario Chiasson Ph.D, directeur de la recherche, de l’innovation et du changement au DSFS, croit que l’école doit combler le «décalage entre la société innovante et l’éducation formelle» et réussir à «produire des citoyens capables d’innover».
«On veut que les élèves fassent l’acquisition des savoirs et développent des compétences par un apprentissage actif et non passif, décrit-il. Être actif, c’est s’entreprendre : lorsque l’élève consulte, expérimente, réalise des prototypes, fait des présentations, des publications… À travers ça, il développe les habiletés essentielles dans une société où tout s’accélère : la communication, la créativité, la collaboration, la résolution collective de problèmes complexes. C’est ce dont notre société a besoin tout de suite.»
Avec le projet S’entr’Apprendre, on souhaite ainsi «améliorer les habiletés numériques des élèves» et leur «offrir des situations d’apprentissage authentiques et signifiantes» pour s’attaquer au «désengagement des apprenants dans les activités scolaires», lit-on sur le site du district.
Six établissements sont associés au projet et d’autres s’ajouteront au fil des ans. Il s’agit des écoles Samuel-de-Champlain (Saint-Jean), Clément-Cormier (Bouctouche), l’Odyssée (Moncton), le Mascaret (Moncton), Abbey-Landry (Memramcook) et Carrefour Beausoleil (Miramichi).
M. Chiasson rêve d’une éducation plus attrayante, adaptée à notre temps, ouverte à la communauté et aux problèmes sociétaux. «On veut que la communauté devienne l’école et que l’école devienne un centre d’innovation communautaire», déclare-t-il. Le responsable du projet dit aussi vouloir «décloisonner les murs de l’école».
À l’école Samuel-de-Champlain, par exemple, cela s’est concrétisé par l’inauguration en octobre du Centre d’apprentissage 8, un nouvel espace pensé par les enseignants de 8e année, destiné à favoriser la collaboration entre les élèves et entre les éducateurs.
Cela passe aussi par une multiplication des partenariats avec le secteur privé pour l’obtention de matériel, ou la formation du personnel enseignant. De gros joueurs comme Apple, Engage VR (réalité virtuelle) ou Logics Academy (robotique) ont déjà embarqué.
Le but : faciliter l’intégration des dernières avancées technologiques dans la salle de classe. Il est notamment question de développer des expériences d’apprentissage en réalité virtuelle dès la rentrée prochaine.
Cette vision se retrouve d’ailleurs en partie dans le livre vert sur l’éducation présenté par le ministre Dominic Cardy en octobre 2019, au travers de formules comme «il faut préparer nos élèves à un monde en évolution rapide» ou «l’école doit se concentrer sur l’apprentissage et les expériences qu’on peut appliquer dans la vraie vie».
Le document de réflexion proposait également de multiplier les partenariats avec le secteur privé et d’approfondir la personnalisation des apprentissages.
L’évolution du projet S’entr’Apprendre sera suivie par une équipe de chercheurs canadiens et internationaux qui évaluera son cheminement et formulera des recommandations.