Donner un sens aux statistiques de la pandémie, une question de communication

Donner un sens aux statistiques de la pandémie, une question de communication

Autant de graphiques logarithmiques et de chiffres à la télévision, Simon de Montigny n’avait jamais vu ça.

«J’ai fait des modèles mathématiques pour le VIH, et quand j’ai vu la même chose aux nouvelles, je me suis dit “on est dans un autre monde, c’est fou”», raconte le professeur de biostatistique au sein du Département de médecine sociale et préventive de l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

Pour lui, cette communication très scientifique répond à un gout du public pour les chiffres et les infographies. «Ça rend les évènements plus concrets», analyse l’universitaire.

Sagesse ou manque de transparence?

Erin Strumpf trouve elle aussi «impressionnante» la façon dont le public est devenu connaisseur des statistiques sanitaires.

La professeure au Département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé au travail de l’Université McGill à Montréal parle «d’inondation de données» et de la difficulté de revenir en arrière, maintenant que le public est «habitué à en avoir 24 heures sur 24». Avant d’ajouter : «Si on donne moins de chiffres, les gens vont croire qu’on cache des informations.»

Erin Strumpf et Simon de Montigny prennent tous les deux en exemple la tentative des autorités provinciales québécoises de ralentir le rythme de communication en juin. Une levée de boucliers s’était ensuivie de la part de responsables politiques, accusant Québec de manquer de transparence, alors que des médecins saluaient au contraire une volonté de prendre du recul pour mieux percevoir l’évolution de la pandémie.

Selon Simon de Montigny, donner le nombre de cas positifs ou de décès sur une base quotidienne a peu de sens.

«Je suis toujours un peu dubitatif quand je vois ces chiffres, explique-t-il. Est-ce que ce sont les tests d’hier, du jeudi d’avant? Les informations arrivent décalées dans le temps».

Sur les courbes, il y a en effet de fortes variations : chaque fin de semaine il y a un creux et chaque lundi un pic, sans que cela ait un sens d’un point de vue épidémiologique.

«Ces chiffres donnent une idée, mais ne racontent pas toute l’histoire», poursuit Simon de Montigny. Un avis partagé par sa collègue de McGill, pour qui les moyennes sur sept jours permettent «d’égaliser un peu».

Surtout, Erin Strumpf met en avant l’importance de suivre les tendances hebdomadaires — si, d’une semaine à l’autre, ça monte ou ça descend — plutôt que les chiffres quotidiens : «Il y a une attente du public pour ces données, mais est-ce qu’il faut se préoccuper de chaque petit mouvement? Probablement pas.»

Chaque juridiction a sa recette

Quand il s’agit de se comparer aux autres, les deux scientifiques mettent également en garde contre les interprétations hâtives. «Il faut que les définitions des statistiques soient les mêmes», observe Erin Strumpf.

En effet, on ne comptabilise pas les cas positifs, les décès et les guérisons de la même façon partout dans le monde. Les politiques de tests sont aussi différentes d’un pays à l’autre. Même au Canada, les méthodes varient, compliquant la tâche de l’Agence de santé publique fédérale.

«Les provinces envoient ce qu’elles veulent», lâche Simon de Montigny, évoquant la tentative d’Ottawa d’imposer des normes nationales dans le domaine de la santé et la peur des provinces de voir le fédéral empiéter sur leurs compétences.

Sur les définitions des chiffres de la pandémie, «l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ou le gouvernement fédéral peuvent suggérer des choses, mais ça s’arrête là, juge Erin Strumpf. Après six à huit mois, on devrait être capable d’avoir les mêmes normes», ce qui n’est pas le cas.

Être plus convaincant

À l’heure des fausses nouvelles qui déferlent sur les réseaux sociaux, remettant en cause les décisions sanitaires, et de la «fatigue» qui s’empare du public face aux restrictions, Simon de Montigny pense que les messages de santé publique devraient être plus simples, afin d’être mieux acceptés.

Il mentionne par exemple le système des couleurs vert, jaune ou rouge mis en place au Québec, qui a pourtant suscité d’autres questions. «Les gens voulaient que les autorités communiquent les critères pour passer d’une couleur à l’autre. Je ne vois pas ce que ça aurait réglé, tout est passé rouge en deux semaines», développe-t-il.

«Les statistiques ne donnent pas d’explications sur les décisions prises par le gouvernement», abonde Erin Strumpf. À ses yeux, il y a un vrai travail à faire pour lier les données brutes aux décisions.

«Ce sera le défi, d’ici le printemps, de donner un sens à ces chiffres pour convaincre le public de suivre les règles», complète-t-elle. Mais la professeure prévient : «Il ne faut pas que ce soit plus simple, mais plus convaincant. Le public a l’impression de décisions aléatoires ; ce n’est pas une question de statistiques, mais de communication.»

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